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Atlas Transmanche

L'heure de l'Union européenne est aussi l'heure des prérogatives locales accrues


Pascal Buléon

La commune, niveau administratif de proximité et lieu d'identité

11 270, c'est exactement le nombre de communes que compte la zone transmanche de la pointe de la Bretagne au Nord-Pas-de-Calais. 11 270 communes dont les plus petites comptent moins de cent habitants et les plus grandes dépassent les 100 000 habitants. Un tel écart plaiderait pour une différence radicale ; différence radicale il y a bien, mais la plus petite et la plus grande de ces communes ont en commun un trait essentiel : leurs habitants s'y identifient fortement.

La commune demeure une maille essentielle du système territorial français, en dépit des difficultés grandissantes sur le plan fonctionnel, car elle est à la fois une des plus anciennes et des plus proches du quotidien de la population. Elle a pour elle l'ancienneté et l'affectivité. Elle est grosse de mémoire, de symboles et d'identités. La commune reste un des liens privilégiés entre les populations et les territoires.

Parmi les structures territoriales françaises, on peut distinguer trois ensembles, d'âge et de trajectoires différents : des structures anciennes et stables, les communes et les départements, des structures plus récentes, produits de la décentralisation de l'État : les régions, les structures nouvelles qui émergent : communautés de communes, districts.

Les communes actuelles sont les lointaines héritières des paroisses, des villes franches, et des communes de l'Ancien Régime, dont les racines remontent au XIIe siècle. La Révolution française en créant son découpage territorial et administratif qui se substitue à celui de l'Ancien Régime donne naissance aux municipalités. Les décrets du 4 août 1789 abolissent les privilèges des villes et communautés d'habitants, grandes ou petites. En 1793, le décret du 10 brumaire An II leur redonne le nom de communes. L'époque napoléonienne et les différentes constitutions modifieront la relation au pouvoir central et les modes d'élection mais ne changeront pas cet élément de base de l'organisation du territoire.

Les 36 000 communes françaises, dont presque un tiers sont localisées dans la zone transmanche, élisent tous les six ans un conseil municipal et un maire. La commune a une compétence essentielle : le plan d'occupation des sols. Elle gère en outre les services publics de proximité. Elle s'est vue confirmée par les lois de décentralisation de 1982.

36 000 en France, l'importance du nombre frappe, cela représente presque autant d'unités administratives qu'en comptait l'Europe lorsqu'elle était à douze membres. L'urbanisation accélérée et l'exode rural des années 1950-1960 et 1970 en France ont progressivement découplé, en certains lieux, le maillage administratif communal et les populations. Un nombre non négligeable de communes a une population faible en nombre et de surplus souvent âgée. Dans le même temps des communes urbaines et périurbaines ont vu leur population croître à un rythme accéléré. Au milieu des années 1990, il existe des communes qui ne comptent plus assez d'électeurs pour constituer un conseil municipal, il existe même des cas – rares – de communes n'ayant plus de résidents permanents. Faible population signifie faibles ressources, ainsi nombre de petites communes rurales n'ont pas, à elles seules, les ressources pour assurer les charges qui sont normalement les leurs, ne serait-ce que l'entretien de la voirie communale. Ces cas sont extrêmes mais montrent que la vénérable institution communale a des difficultés pour répondre à l'évolution des populations, de leur localisation, de leurs activités comme de leurs besoins.

Tout en connaissant ces difficultés, l'institution communale est une des institutions les plus en prise directe avec les populations, par le jeu de la proximité. Cela lui donne une capacité de représentation comme d'auto-réforme considérable. Ainsi voit-on émerger, en réponse aux problèmes de gestion, des coopérations intercommunales aux géométries très variables. La coopération pour la gestion de l'eau, des déchets, des transports, des bassins de recrutement scolaire, a déjà deux à trois décennies d'existence, elle ne cesse de se renforcer et se transforme en coopérations plus serrées, plus organiques aux compétences élargies. Cette dynamique pousse au regroupement des communes tout en conservant les individualités. L'opérationnel se marie avec la mémoire et l'identité.

Ainsi voit-on également dans des communes urbaines de grande taille où la proximité entre l'élu et la population n'est plus très forte, se faire jour des essais de structures de consultations et d'animation au niveau des quartiers. Il s'agit cette fois de ménager au niveau infra communal un nouveau mode de relation. Ces différentes adaptations concentrent au niveau de la commune la confrontation de logiques de représentation électives des populations, de logiques de gestion fonctionnelle d'espaces urbains et ruraux, et de la mémoire et des identités des populations.

Le Département, structure intermédiaire de gestion, surtout des infrastructures et des affaires sociales

Le Département est lui aussi une vieille institution. Création de la Révolution, il atteint ses deux cents années d'existence. Une des logiques qui préside à son découpage était de permettre à tout citoyen de se rendre en une journée de cheval auprès des autorités représentant l'État. Une logique de distance/temps qui ne déparerait pas dans les débats contemporains sur l'accessibilité aux grands centres. Le département est le second niveau d'autorité publique dans l'organisation territoriale française. Ils sont au nombre de 95 sur le territoire métropolitain, dont 22 dans la zone de l'Atlas Transmanche. Le rôle du Conseil général, structure élue qui gère le département, s'est trouvé redéfini par les lois de décentralisation de 1982. Les départements ont à charge d'élaborer et de mettre en œuvre les schémas départementaux de transports (route, transports par car par exemple), de construire et entretenir les établissements scolaires secondaires (niveau 6e et 3e), de traiter les affaires sociales (exemple Revenu minimum d'insertion), ainsi que d'assurer l'assistance technique aux petites communes rurales. Les budgets annuels des départements, proportionnellement plus importants que ceux des régions, leur donne une réelle capacité d'intervention.

Le Département est également la zone de compétence du Préfet, représentant de l'État, qui coordonne différents services (équipement, sécurité, etc.) et, est l'interlocuteur constant du Conseil général. Le président du Conseil général s'est vu transférer les pouvoirs exécutifs du Préfet depuis les lois décentralisation de 1982.

Des structures plus récentes, produits de la décentralisation : les régions

Les Régions n'ont pas l'ancienneté des départements et des communes. Elles prennent corps dans les décennies 1960 et 1970 et disposent de leurs compétences actuelles depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983. Vingt-deux régions en France métropolitaine, dont cinq sont analysées par l'Atlas Transmanche, voient leurs compétences s'élargir très substantiellement.

Les lois de décentralisation changent notablement le rôle et la capacité d'initiative des collectivités locales et la place de l'État. Les lois de 1982 et 1983 complétées jusqu'en 1992 – on mesure qu'il s'agit d'une décentralisation encore jeune – instituent trois niveaux de collectivités territoriales en France : les Communes, les Départements et les Régions. L'État conserve évidemment à son niveau toutes les décisions politiques, monétaires, diplomatiques, économiques, etc. La décentralisation concerne les domaines de l'aménagement du territoire, des affaires sociales et le développement économique. L'État définit les règles, les "grands équilibres", définit les grands schémas directeurs sectoriels (les autoroutes, les universités, les TGV).

Trois traits majeurs de ce jeu entre les collectivités territoriales et l'État qu'introduisent les lois de décentralisation peuvent être soulignés.

Le transfert de compétences est inspiré par un principe de proximité. Le niveau le plus pertinent pour l'usager (commune, département ou région) se voit confier un ensemble de compétence particulier. Dans ce partage de compétences, aucune collectivité locale ne peut et ne doit se trouver sous la tutelle d'une autre.

Le second trait majeur est que les actes et délibérations des collectivités locales sont exécutoires de plein droit. Le Préfet en assure, pour l'État, le contrôle de légalité. Cette disposition législative vise à donner de larges capacités d'initiatives et de responsabilités aux collectivités locales.

Enfin le transfert de compétences auparavant dévolues à l'État, s'accompagne de compensations financières devant permettre aux collectivités locales de faire face à leurs nouvelles responsabilités.

La région, dans ce nouveau partage de compétence se voit ainsi attribué la planification dans le cadre régional, l'intervention dans le financement des lycées, de la formation supérieure et de la recherche, dans les schémas de transport, etc.

Ce partage de compétence ne se traduit pas par une gestion isolée. Dans chacun des domaines, il y a la plupart du temps, interventions complémentaires et donc concertées voire négociées, de l'État et des collectivités territoriales. La procédure la plus achevée de cette concertation est le contrat de Plan. Le contrat de Plan est une programmation qui lie la Région à l'État sur une série d'objectifs d'ordre structurels : grands équipements, routes, voies ferrées, département d'université, politique d'aménagement du territoire. Nous sommes actuellement dans l'exécution des IIIe Plans régionaux. Le dernier Contrat de Plan État-Région a été négocié en 1992-1993.

Nombre d'actions qui sont du ressort des départements et communes viennent également s'inscrire ou s'appuient sur des axes des Contrats de Plan Etat-Région. C'est ainsi que la coordination peut permettre une inflexion forte dans une direction ou une autre. Ce fonctionnement issu de la décentralisation a sans nul doute introduit de nouveaux comportements dans la gestion des affaires locales, assurant plus qu'auparavant des possibilités d'initiatives locales.

À l'inverse, le jeu de compétences complémentaires se traduit par une multiplicité d'organismes intervenant, multiplicité qui compliquent singulièrement les opérations et parfois les ralentit.

Des structures nouvelles émergent

En même temps que la décentralisation s'ancre dans la réalité française, de nouvelles structures émergent sous le double sceau du changement urbain et de l'imbrication de plus en plus poussée des problèmes de gestion territoriale et de développement économique.

Les zones urbaines n'ont cessé de croître depuis quarante ans. Dans la zone transmanche, on dénombre 696 agglomérations. Les villes-centre se sont vues confrontées à des questions qui touchaient toute leur agglomération et qu'elles ne pouvaient pas porter seules. Les communes périphériques proches ont progressivement considéré qu'elles avaient plus d'intérêt à se concerter entre elles et avec la ville-centre qu'à rester isolées. Enfin, tout le monde a pris conscience qu'il existait des problèmes de la taille de l'agglomération que seule une structure de même taille pouvait résoudre, alors que les communes dans leur découpage actuel étaient relativement impuissantes.

C'est ainsi que sont nées au cours des vingt dernières années, avec une nette accélération au cours de la dernière décennie, des structures de coopération serrées dans les agglomérations. Le cadre juridique est variable, le degré d'association plus ou moins fort. Selon les modalités, ces nouvelles structures s'appellent districts, communautés urbaines. Dans la zone transmanche existent ainsi la Communauté urbaine de Lille, de Dunkerque, de Cherbourg, les districts de Rennes, de Caen. Tout porte à penser que ce mouvement d'intégration des structures communales des agglomérations va se poursuivre dans les années à venir. Les dispositions législatives les encouragent, la nature et la dimension des problèmes à résoudre poussent à ce changement d'échelle d'administration locale.

De la même façon en zone rurale, le jeu de ciseaux entre la taille des problèmes d'aménagement et de gestion, et l'évolution démographique conduit au renforcement de ce qu'on appelle en France, l'intercommunalité. Ce vocable recouvre une réalité, déjà vieille de quelques décennies, de coopérations entre communes sur des questions précises, eau, enseignement, etc., dont nous avons fait mention précédemment. L'usage actuellement répandu du mot voit naître des coopérations beaucoup plus serrées et constantes entre communes. Un niveau supra communal de gestion locale voit ainsi pratiquement le jour selon des formes et des vitesses variées. Ce processus est lui aussi encouragé par un dispositif législatif et des systèmes d'aide et d'incitation financière. Progressivement le niveau de la représentation élective et politique qui est celui de la commune, côtoie un niveau de gestion local qui regroupe un certain nombre de communes, souvent entre une dizaine et une vingtaine. Les départements du Nord et de la Manche sont les départements qui comptent en France le plus grand nombre de communautés de communes.

La marque de l'Union européenne

L'émergence de ces nouvelles structures comme la pratique de la décentralisation s'effectuent dans le contexte de l'Union européenne. Cela imprime une marque particulière. Les politiques des régions ont comme horizon explicite le cadre communautaire ; elles l'envisagent pour leurs infrastructures, pour le développement de leurs activités, elles l'envisagent même pour des accords internationaux à leur niveau. Les villes sont, elles aussi, engagées dans cette voie, et les réseaux de villes ou les accords de villes transfrontalières, s'ils ne peuvent être considérés comme des structures territoriales à part entière, constituent néanmoins des objets institutionnels d'un genre nouveau au sein des États nationaux, incités par l'existence de l'Union européenne.

D'autre part les Régions, mais également ces structures nouvelles, communautés de communes, districts, s'inscrivent dans le cadre des politiques communautaires. Elles reçoivent souvent des fonds structurels qui viennent abonder des financements nationaux. Ce mécanisme de complémentarité pousse au développement de ces nouvelles structures. Se met ainsi en place par ajustements successifs un système d'organisation territorial qui substitue à l'héritage napoléonien centralisé un système plus complexe où les initiatives locales ont plus de marges de manœuvre, où les décisions nécessitent des discussions voire des négociations entre plusieurs centres de décision, dont certains ont une légitimité élective et où l'Union européenne vient accompagner l'État dans les actions de programmation, d'incitation et de financement. Dans le contexte français, l'heure de l'Union européenne est aussi l'heure de prérogatives locales accrues.

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