Les pollutions maritimes accidentelles (1960-2015)
Pascal Buléon, Frédérique Turbout
1960-2007
Les accidents aux conséquences les plus étendues impliquent les hydrocarbures, ils ont peu diminué depuis le naufrage du Torrey Canyon en 1967 qui avait répandu des images de désolation sur les côtes. Ce n’est pas que les pollutions n’eussent pas existé antérieurement, mais convergeaient là une course au gigantisme des tankers, une augmentation du trafic, une occupation du littoral et une sensibilité montante à la question environnementale. À la suite du Torrey Canyon, les accidents plus ou moins graves se sont poursuivis, Amoco Cadiz (1978), etc., ils ont par contre diminué en proportion puisque le trafic a considérablement augmenté. Celui de l’Erika (1999) marqua le début d’une réaction publique et institutionnelle plus forte. Les chimiquiers ont également leur part (Ievoli Sun, 2000) mais jusqu’alors moins grave. En 2007, l’échouage dirigé en baie de Lyme, sur la côte du Dorset – site du patrimoine mondial de l’UNESCO –, du porte-conteneurs MSC Napoli, montre ce qui peut se reproduire. Pour la première fois dans l’hiver 2007, les autorités anglaises et françaises ont interdit l’entrée du détroit à un porte-conteneur venant de mer du Nord qui, éprouvé par une violente tempête, constituait un risque.
2008-2015
Le dernier accident ayant entraîné une pollution par hydrocarbures dans la mer de la Manche a lieu en octobre 2008 lorsque deux navires entrent en collision dans le rail montant du DST du Pas-de-Calais, le Scot Isles et le Wadi Halfa. À la suite de la collision, 60 tonnes de gasoil se sont échappées des soutes du Scot Isles. Cette pollution jugée minime par les autorités compétentes est la dernière en date faisant suite à un accident en Manche. Si le trafic s'est intensifié, les accidents sont de moins en moins nombreux et n'ont pas donné lieu à des déversements majeurs d'hydrocarbures. Le doublement des coques des navires et des systèmes de navigation et de surveillance efficaces expliquent en partie cette évolution encourageante. Toutefois, il subsiste quelques pollutions signalées par les différents CROSS de la zone. Pour l'année 2015, 104 signalements de pollution sont répertoriés, souvent de faibles ampleurs, parfois sans explication. 21 correspondent à des rejets illicites ou des naufrages, trois sont d'origine terrestre, le reste des pollutions signalées étant non identifiées ou non confirmées. Il n'en demeure pas moins que ces « petites » pollutions répétées et de faible ampleur représentent un risque environnemental réel. Concernant les pollutions chimiques, aucun accident majeur ne s'est produit en Manche depuis 2006 : l'Ece, en janvier 2006, coule à l'approche du DST des Casquets, dans les eaux internationales, à la suite d'une collision avec un vraquier. Il contient 10 000 tonnes d'acide phosphorique en soutes ainsi que des hydrocarbures de propulsion. L'activation du Manche Plan a permis d'éviter une catastrophe de grande ampleur. Les soutes et les citernes contenant les polluants potentiels ont été pompées à la suite de l'accident. En octobre 2006, dernier accident chimique en date dans la zone, le navire gazier Ennerdale connaît un problème mécanique à son accostage au terminal de Fawley en Angleterre, libérant dans l'atmosphère 66 tonnes de propane.
Si la gestion efficace de ces deux accidents a permis de limiter les conséquences de pollutions chimiques majeures, cela ne doit pourtant pas faire oublier le risque, toujours et plus que jamais présent sur cette mer très fréquentée. Des accidents se produisent encore mais les pollutions qu'ils engendrent sont de nature différente.
Ainsi, en 2008, l'Ice Prince, vraquier grec, coule entre la France et l'Angleterre entraînant l'échouage de sa cargaison de bois de charpente sur les plages du Sussex. Les images sont impressionnantes et les mesures de nettoyage complexes.
Naufrage de l'Ice Prince le 14 janvier 2008
Source : EMSA 2008 - © Marine Nationale
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Échouage du bois de charpente de l'Ice Prince sur la plage de Worthing
(West-Sussex) - © BBC News, 2008.
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Le 14 février 2014, le Svendborg Maersk, porte-conteneurs danois de 8 160 EVP a perdu 517 conteneurs dans la tempête Ulla, alors qu’il faisait route au large d’Ouessant en direction du sud. La plupart ont coulé. C’est la plus importante perte de conteneurs jamais enregistrée. Une météo extrême et une modification du navire, en 2012, lui permettant par l'ajout de niveaux supplémentaires de transporter 3 000 EVP de plus, mais fragilisant l'équilibre du chargement, ont contribué à l’accident.
(source CEDRE)
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Svendborg Maersk à son départ de Rotterdam le 13 février 2014
Source : Frans Sanderse/Shipspotting
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Svendborg Maersk à son départ de Rotterdam le 13 février 2014
Source : Frans Sanderse/Shipspotting
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La perte de conteneurs en mer est un risque fréquent aujourd'hui, une majeure partie des échanges de marchandises dans le monde se faisant grâce à ce mode de stockage et de transport. Les accidents se multiplient, les pertes sont nombreuses et les risques de collision toujours présents. L'accident du Svendborg Maersk est un cas extrême ayant entraîné une perte record de conteneurs mais qui a permis de faire réagir les autorités face aux risques réels que représentent ces conteneurs. À la suite de cette perte de cargaison sans précédent, la France a demandé à l'Organisation Maritime Internationale que soit mis en place un régime obligatoire de déclaration formatée pour signifier les pertes de ces conteneurs afin de pouvoir au mieux localiser et positionner les zones de pertes qui pourraient entraîner un risque pour les autres usagers de la mer. Les déclarations existaient déjà dans le cadre de la Directive MARPOL mais étaient peu précises et rarement renseignées.
Imaginons qu'un des super porte-conteneurs transportant quelques 30 000 EVP coule dans un des DST de la Manche, comment gérer une telle situation de crise ? Comment gérer la circulation incessante des navires ? La course au gigantisme accroît les risques et les enjeux en termes de sécurité des biens et des personnes.
Bois de charpente, conteneurs, et parfois même navires, comme ce fut le cas pour le TK Bremen échoué sur une plage du Morbihan, illustrent ces nouvelles formes de pollutions des littoraux auxquelles les autorités doivent faire face.
Le risque est toujours présent dès lors que l'activité est intense. Les pollutions par hydrocarbures sont fort heureusement limitées aujourd'hui mais ne doivent en rien faire baisser le niveau de vigilance, de formation, et de réactivité des professionnels et usagers de la mer. De nouvelles formes de pollution s'amplifient, suivant l'évolution globale des modes de transport du commerce maritime, il faut pourvoir y faire face, imaginer de nouveaux systèmes de repérage et d'identification des cargaisons, pour compléter le dispositif performant existant. La mer de la Manche est une mer particulièrement dangereuse et l'une des plus fréquentées au monde, c'est aussi l'une des mieux surveillées.
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