Le trafic fret des ports français et britanniques en 2015


Frédérique Turbout

Chaque année, quelques 9 milliards de tonnes de marchandises sont transportées par la mer, soit près de 80 % du transport mondial de marchandises. La voie maritime reste le principal mode de transport du commerce international. Dans ce système maritime planétaire, la mer de la Manche détient une position stratégique puisqu'elle est le couloir qui permet de relier le bassin mer du Nord–mer Baltique à l'océan Atlantique et au reste du monde.

Dans ce passage majeur, le trafic de marchandises se fait d'ouest en est, près de 300 navires entrants et sortants du couloir de la Manche chaque jour, tous chargés ou déchargés dans les ports du Range Nord ou de la Manche de marchandises diverses et variées, en vrac, en conteneurs ou sous forme liquide ou gazeux. Le trafic de marchandises se fait également du nord au sud, entre les ports français et anglais de la Manche. L'espace Manche est ainsi l'un des couloirs maritimes parmi les plus importants au monde avec le détroit de Malacca.

1. Une voie privilégiée du trafic marchandises nord-ouest européen

Toutes les dix minutes, trois navires empruntent ce couloir, en provenance ou à destination des ports du Range Nord. Ce système portuaire du nord-ouest de l'Europe qui regroupe les plus grands ports bordant les côtes de la Manche et de la mer du Nord totalise à lui seul 1/6e du trafic maritime mondial de marchandises avec près de 1,4 milliards de tonnes de fret enregistré en 2015, soit 15,4 % du total mondial.

Dans ce système maritime de grande envergure, les ports de la Manche tiennent une place de choix et sont en position géographique avantageuse, à l'entrée du continuum mer du Nord–mer Baltique. Cinq d'entre eux s'illustrent plus particulièrement par les volumes qu'ils manipulent, totalisant ainsi 61 % du trafic de marchandises en Manche ; ainsi, Calais, Dunkerque et Le Havre, côté français ont enregistré un trafic fret total de 157 millions de tonnes en 2015 alors que Douvres et Southampton, côté anglais totalisaient 64 millions de tonnes pour la même année.

Au total, ce sont près de 361 millions de tonnes de fret qui ont été chargés ou déchargés dans les ports de la Manche en 2015.

 

2. Évolution du trafic : l'envol des ports secondaires

Depuis 2009, le transport maritime, qui comme le reste de l'économie a souffert de la crise, remonte peu à peu la pente et enregistre des baisses très modérées. Ce sont avant tout les grands ports de la zone, Le Havre, Portsmouth, Southampton qui connaissent de légers ralentissements (entre -7,7 et -1,5 % de 2009 à 2015) et plus généralement, le trafic fret des ports de la zone a enregistré sur la période 2009-2015 un recul de 2,3 %.

Cette baisse relativement modeste cache en réalité de très fortes disparités, non pas au sein des grands ports mais parmi les ports secondaires. Ainsi, les plus fortes baisses concernent les ports de Boulogne-sur-Mer (-70,9 %), Granville (-50,4 %), Harwich (-68,1 %), Ramsgate (-99,1 %) et Newhaven (-45,4 %). Pour deux de ces ports, Boulogne-sur-Mer et Newhaven, la chute du trafic fret s'explique par la fermeture de la ligne ferry qui générait jusque là des volumes de fret roulier importants. Le développement des grands ports met également à mal le maintien d'un trafic commercial dans certains ports, Ramsgate en est une illustration. Il entre directement en concurrence avec Douvres et accuse un déficit de plus de 2,7 millions de livres en 2015. Les récents investissements de Douvres semblent devoir mettre un terme dans un futur proche à l'activité de trafic fret de ce port déjà fortement affaibli par la crise de 2009.

À l'inverse de ces baisses, les ports secondaires normands de Dieppe (+ 26,4 %), Fécamp (+ 50,5 %) ou du Tréport (+ 98,4 %) tirent leur épingle du jeu avec des résultats à la hausse. La liaison Dieppe-Newhaven, la modernisation des ports et le développement des parcs éoliens offshore sont autant de facteurs qui permettent d'accroître fortement les activités de fret maritime.

 

 

Trafic de marchandises des ports transmanche, 2015
Total369 706 000361 039 179-2,3
PortsTrafic fret 2009 (tonnes)Trafic fret 2015 (tonnesÉvolution 2009-2015 (%)
Boulogne-sur-Mer1 025 000298 738-70,9
Brest2 816 0003 651 08329,7
Caen-Ouistreham3 250 0003 296 8001,4
Calais40 785 00041 854 2952,6
Cherbourg2 074 0001 687 312-18,6
Dieppe1 700 0002 148 32826,4
Dunkerque45 003 00047 100 0004,7
Fécamp159 000239 32450,5
Granville129 00063 985-50,4
Le Havre74 048 00068 316 560-7,7
Le Tréport180 000357 16698,4
Roscoff461 000547 77918,8
Rouen23 302 00022 522 000-3,3
Saint-Brieuc Le Legué*454 000435 053-4,2
Saint-Malo1 630 0001 715 7565,3
Bristol9 000 00011 421 00026,9
Dover25 800 00027 605 0007
Felixstowe26 420 00028 127 0006,5
Harwich2 940 000938 000-68,1
Ipswich2 810 0001 929 000-31,4
London45 440 00044 489 000-2,1
Medway13 150 0008 447 000-35,8
Newhaven1 280 000699 000-45,4
Plymouth1 940 0002 089 0007,7
Poole1 130 000573 000-49,3
Portsmouth3 960 0003 786 000-4,4
Ramsgate1 590 0001 400-99,1
Southampton37 230 00036 688 000-1,5
* La statistique du port de Saint-Brieuc Le Legué comprend également les résultats des ports du Tréguier, de Pontrieux et de Lézardrieux.
Sources : Statistiques des ports, 2016.
 

3. Les grands types de marchandises échangées : le règne du conteneur

 

 
Volumes et part des marchandises échangées dans les ports, 2015

Total

361 039 179100**

Types de marchandises

Volume total (tonnes) Part de chaque type dans le total de marchandises (%)

Hydrocarbures, gazeux et liquefiés

2 622 3700,72

Pétrole brut

36 833 06310,20

Produits pétroliers raffinés

51 932 10814,38

Vracs liquides non pétroliers

7 725 7542,13

Minerais et matériaux

18 588 3685,14

Charbon

10 315 0842,85

Produits agricoles, céréales et produits agro-alimentaires

15 850 1524,39

Produits chimiques, engrais et produits dangereux

18 085 0925,00

Produits forestiers

3 524 9240,97

Acier, fer et ferrailles

1 816 2190,50

Autres vracs solides

11 447 2143,17

Roll on – Roll off

106 938 50229,61

Conteneurs

75 291 34420,85
** Le total des pourcentages peut varier de 100 compte tenu des décimales.
Sources : Statistiques des ports, 2016.

 

Les ports de l'espace Manche sont les lieux de transbordement de marchandises diverses parmi lesquelles s'illustrent plus particulièrement le trafic d'hydrocarbures et de ses dérivés, mais aussi le trafic roulier et les conteneurs.

À cela rien de surprenant. Le trafic fret d'hydrocarbures et de produits gazeux se fait à destination des lieux de stockage et de raffinage (Dunkerque, raffineries de la Vallée de Seine, Southampton/Fawley), alors que le trafic roulier concerne essentiellement les ports ferry. Quant aux conteneurs, ils sont aujourd'hui la norme et représentent la majeure partie du trafic fret maritime dans le monde. C'est le cas dans les grands ports de l'espace Manche qui peuvent accueillir ces géants des mers, toujours plus « gros », toujours plus chargés de « boites » appelées EVP (équivalent vingt pieds). En octobre 2015, le président français F. Hollande a ainsi inauguré au Havre l'un des plus grand porte-conteneurs au monde battant pavillon français, le CMA-CGM Bougainville. Long de 400 mètres (l'équivalent de quatre terrains de football) et large de 54 mètres, il peut transporter 17 722 conteneurs. Mis bout à bout, ces conteneurs chargés sur camion représenteraient une file ininterrompue de camions reliant Lille à Caen, soit presque 350 km. Le gigantisme de ces navires suppose des infrastructures portuaires toujours plus nombreuses et adaptées au déchargement/chargement dans des délais toujours plus courts de ces cargaisons d'EVP.

Au-delà de ces considérations en terme d'infrastructures, des questions techniques limitent l’accueil de ces navires, par leur longueur d'une part, supposant des quais capables de les recevoir, et par leur tirant d'eau de près de 16 mètres d'autre part, supposant des ports en eaux profondes ou suffisamment profond pour permettre à ces navires d'accoster.

4. Nouvel enjeu : s'associer pour mieux résister

La crise de 2009 a laissé des traces, même si globalement le trafic se maintient. Plus que jamais la concurrence est de mise entre les ports, et particulièrement face aux grands ports du nord-ouest européens, Rotterdam, Hambourg et Anvers, même si eux aussi n'ont pas été épargnés par la crise.

Pour faire face et concurrencer ces géants, les ports s'associent. C'est le cas en Manche côté français par exemple avec la création dès 2004 de PNA, Ports Normands Associés regroupant les ports de Caen-Ouistreham et de Cherbourg (loi de décentralisation confiant aux collectivités locales la propriété des ports dits « d'intérêt régional »). Dans le même ordre d'idée mais à une échelle bien plus importante, en 2012, se sont associés sous le nom d'HAROPA, les ports du Havre, de Rouen et de Paris. Ce système portuaire d'envergure européenne associe trafic maritime et fluvial et se classe au 5e rang des ports du Range nord, juste derrière Amsterdam et Hambourg. Enfin, suivant ce principe d'union face à la concurrence, les ports locaux de la Manche se sont regroupés sous la forme d'une association pour défendre ensemble leurs intérêt. 

L'avenir du trafic maritime en Manche est assuré, quels que soient les changements en matière de transport dans les prochaines années. Il est très peu probable que ce mode de transport, aujourd'hui leader, bien loin devant tous les autres, soit, dans un avenir proche, remplacé ou supplanté. Aussi, l'avenir des ports transmanche réside-t-il dans leur capacité d'adaptation aux futures évolutions comme le gigantisme des navires ou les efforts en matière d'environnement et de transport « propre ». S'associer pour mieux résister est un premier pas vers un renforcement de leur position dans le concert des ports internationaux et face à des concurrences lointaines, toujours plus fortes.

Le positionnement sur des activités de niche peut également constituer une alternative pour des ports en perte de vitesse et peu ou pas adaptés aux nouvelles exigences du transport maritime ; ces futures reconversions et celles d'ores et déjà en cours participeront à renforcer l'attractivité de ces ports et plus généralement la place de l'espace Manche dans le trafic maritime international de marchandises.

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