L'énergie dans l'espace Manche - perspectives 2030
Frédérique Turbout, Pascal Buléon
L'avenir de la ressource énergétique est un enjeu crucial des prochaines décennies pour les 8 milliards et demi d'êtres humains qui peupleront la planète à l'horizon 2030. Se chauffer, s'alimenter, se déplacer sont des actions directement liées à la présence d'une ressource énergétique en suffisance, or la ressource se raréfie, il faut donc penser, imaginer d'autres façons de produire cette énergie vitale. Les réserves en énergie fossile se raréfient, le mix énergétique devient une priorité et le recours aux énergies renouvelables, une nécessité. Mais l'exploitation de nouvelles sources d'énergie, de nouveaux gisements imposent le développement de nouvelles techniques d'extraction, de production, de stockage et de distribution. Et si ces techniques sont maîtrisées, le temps et les coûts nécessaires à leur mise au point peuvent altérer la rentabilité de ces nouvelles énergies ou peuvent susciter des réticences de la part des populations d'usagers.
De prime abord, l'espace Manche apparaît peu concerné par ces questions énergétiques, et pourtant il n'en est rien. Cet espace maritime connu comme l'un des tout premiers couloirs de circulation maritime au monde est également un formidable réservoir en énergies marines renouvelables. Éolien offshore, hydrolien, houlomoteur sont autant de sources potentielles de production énergétique à moyen et long terme dans la zone. Il faut ajouter à ces énergies renouvelables, les algues et le potentiel qu'elles représentent pour la production d'algocarburants. L'espace Manche a tout cela. L'impact des nouvelles voies énergétiques empruntées se lira à toutes les échelles des territoires, et bien évidemment à l'échelle des bassins maritimes comme celui de la Manche. De nombreuses activités actuelles ou futures dépendront des choix retenus dans cette course à la production de nouvelles ressources énergétiques. Quelle sera alors la place de l'espace Manche ?
1. Production et exploitation de la ressource
Produire, exploiter une source d'énergie ne peut plus se faire aujourd'hui sans respect de trois types de facteurs : économique, environnemental et sanitaire.
- Facteur économique : ce type de facteur se base sur le rapport entre l'offre et la demande qui selon l'évolution du coût de la ressource peut croître ou décroître. Il existe un effet de seuil au-delà duquel le coût trop élevé d'une énergie entraîne un changement des habitudes de consommation se traduisant fréquemment à long terme par une baisse de la demande.
- Facteur environnemental : la ressource se doit d'être « propre » et respectueuse de l'environnement ceci dans un contexte de lutte contre le réchauffement climatique et de gestion des ressources. L'accélération des changements climatiques peut également entraîner l'abandon de l'usage de certains combustibles trop nocifs.
- Facteur sanitaire : les effets néfastes sur la santé des populations peuvent limiter l'usage des énergies fossiles (pétrole, charbon) ou limiter le développement d'énergies nouvelles. L'exemple des gaz de schistes, en France en est une illustration.
Ces facteurs économiques, climatiques ou sanitaires influencent et influenceront fortement l'utilisation des ressources énergétiques. Il faut ajouter à ces facteurs la variable « disponibilité de la ressource ». Le pétrole se raréfie et l'exploitation de nouveaux gisements est conditionnée par l'efficience énergétique de cette exploitation, c'est-à-dire par les rapports entre coût d'exploitation et gains économiques ou énergétiques réels. Les difficultés techniques d'exploitation d'une ressource énergétique peuvent entraîner des coûts difficilement supportables par les consommateurs lesquels changent progressivement leurs habitudes de consommation et se tournent vers d'autres sources d'énergie. Il y a donc une véritable nécessité à rechercher de nouvelles sources énergétiques rentables à exploiter, au risque de créer une fracture énergétique dans la population.
Le charbon, autre énergie fossile est également exploitée, voire même relancée mais l'impact sur l'environnement peut mettre un terme à son exploitation massive. Les décisions politiques en matière de lutte contre le réchauffement climatique, contre les pollutions et pour la préservation de l'environnement influenceront fortement le maintien de cette exploitation charbonnière.
L'énergie nucléaire décriée, risque de perdurer, faute d'énergie de remplacement, même si son exploitation va décroître peu à peu pour répondre aux souhaits des populations et limiter les risques sanitaires. L'acceptabilité est et sera un enjeu fort des prochaines décennies en matière de choix énergétique.
Aujourd'hui, toutes ces « vieilles » sources d'énergie sont remises en cause, soit pour leurs effets néfastes sur la santé ou l'environnement, soit parce qu'elles se raréfient et deviennent moins rentables à exploiter.
Les ressources énergétiques de substitution que sont les énergies renouvelables offrent une alternative au tout pétrole, tout charbon ou tout nucléaire, mais les techniques restent à améliorer, particulièrement dans le domaine du stockage et de la redistribution vers les lieux de consommation. Si les modèles de consommation bougent, si les habitudes évoluent peu à peu, devenant plus sobres et cherchant à maîtriser la demande énergétique, il faudra alors que ces nouvelles énergies puissent y répondre. Nous ne sommes plus dans le long terme, mais dans le moyen terme, à l'échelle de la prochaine décennie. Tous les voyants concourent à ces changements, les récentes poussées du prix de baril de pétrole ont permis de faire bouger doucement les lignes en matière de comportement de consommation vers plus de rationalité et de sobriété.
Dans le domaine de l'innovation technique, le choix de privilégier telle ou telle technologie se fera sur la balance entre avantages et inconvénients et particulièrement si ces derniers touchent à la santé des populations. L'acceptabilité globale sera un donnée clé de la production énergétique des prochaines décennies. Dans cet entre-deux, entre période de consommation massive et période de consommation raisonnée, les énergies fossiles perdurent et les carburants liquides ont encore de beaux jours devant eux, même si les recherches dans le domaine de la combustion sans flamme se poursuivent et que peu à peu s'imposent de nouvelles voies énergétiques.
2. Distribution de la ressource
Si production il y a, il faut pouvoir assurer la distribution vers les lieux de consommation. C'est l'autre point crucial des possibles changements en matière de production énergétique.
L'accès aux réseaux sera dominé par deux aspects : d'une part les grands réseaux descendants et ascendants que nous connaissons déjà vont subsister et connaître des modifications pour permettre une meilleure adaptation à la distribution des énergies renouvelables et d'autre part les productions privilégieront les circuits courts de distribution, proches des lieux de consommation, sur le principe des 'Smart Grid', favorisant ainsi un coût raisonné et des réseaux intelligents jusque chez le consommateur. Techniquement, ce dernier aspect est également plus rentable pour les fournisseurs d'énergie.
3. Impact sur un secteur d'activité dominant les échanges : le transport maritime
Ces changements possibles en matière de consommation, de production et de distribution des énergies renouvelables impactent fortement certains espaces, certains secteurs d'activité. C'est particulièrement le cas dans le domaine du transport maritime et dans les futurs espaces potentiels de production. L'espace Manche cumule ces deux caractéristiques, espace de production potentiel au sein duquel le trafic maritime y est particulièrement intense et constitue une activité majeure.
L'augmentation du prix du baril de pétrole a une incidence immédiate sur le domaine des transports, le consommateur le voit à la pompe, dans l'achat de son billet d'avion, mais moins facilement dans le bien manufacturé qu'il achète. Or aujourd'hui, on estime qu'un bien manufacturé a 90 % de chance de voyager par la voie maritime à sa sortie des chaînes de production. Le transport maritime est le premier moyen de transport de marchandises au monde. Jusqu'à maintenant, le coût de ce mode de transport était un argument de poids favorisant les échanges par voie maritime. Compte tenu de la raréfaction des énergies fossiles et des carburants liquides, cet état de fait pourrait être amené à évoluer. Il restera a priori toujours le mode de transport le plus utilisé et le plus important mais il devra évoluer pour répondre aux impératifs environnementaux et économiques. Les premiers signes de ces changements sont d'ores et déjà perceptibles, l'exemple en est la récente législation imposant la limitation des émissions de souffre qui va concerner tous les navires circulant sur la mer de la Manche à partir de janvier 2016.
Qu'en est-il justement dans cet espace Manche ? Quels sont les changements possibles ? Comment s'adapter aux baisses de trafic probables de produits pétroliers ? Que deviendront les ports transmanche spécialisés dans cette activité ? Et plus encore, quelle place cet espace maritime peut-il occuper sur le nouveau marché des énergies marines renouvelables ?
Pour lors, la zone assure une fonction de transit et de raffinage du pétrole et accueillent des fonctions de production et de retraitement de l'énergie nucléaire. Avec la diminution possible de la production de ces deux sources d'énergie, le rôle des ports peut évoluer. Aujourd'hui ces ports portent les terminaux pétroliers, charbonniers et gaziers. Ils accueillent les soutages de produits pétroliers et portent les infrastructures de raffinage, mais demain ? Il y a fort à parier que l'espace Manche restera une zone de transit de produits pétroliers. Si la consommation et la production des ces derniers tendent à s'abaisser, les fonctions de raffinage se réduiront, voire disparaîtront si ces raffineries ne s'appuient pas sur un tissu industriel diversifié.
Parallèlement, l'espace Manche est un formidable réservoir en terme de production d'énergie marine renouvelable. Vents, courants et marnage concourent à faire de cet espace maritime, le premier bassin de production d'énergie marine renouvelable en Europe, voire au monde. La France et l'Angleterre détiennent les plus gros potentiels de l'Union européenne et parmi l'ensemble des régions transmanche, la Bretagne et la Normandie se positionnent en tête avec le Kent, côté anglais.
Cette manne énergétique renouvelable peut être une chance pour la zone Manche, les ports pouvant se positionner comme des lieux de stockage et de productions de ces énergies.
Plus généralement, les évolutions possibles de l'énergie dans l'espace Manche concernent le développement des EMR, éolien offshore posé ou flottant, hydrolien, houlomoteur. Les futurs développements incluant le nécessaire rapprochement imposé par ce type d'énergie entre lieux de production et lieux de consommation aura un impact sur les territoires locaux. Concernant les autres énergies, pétrole et nucléaire plus particulièrement, on peut envisager une baisse de ce type de production qui aura un impact sur les activités industrielles présentes dans la zone, ne va-t-on pas se diriger vers des terminaux gaziers ou charbonniers plutôt que pétroliers ? On peut également s'interroger sur la persistance de l'activité nucléaire à l'horizon 2030 dans la zone.
Si toutes ces questions restent pour le moment en suspens et quelles que soient les hypothèses avancées, une certitude s'impose, c'est l'acceptabilité sociale et l'impact environnemental qui décideront des pistes énergétiques à suivre dans les vingt prochaines années. Plus qu'une zone de transit, l'espace Manche peut devenir une zone stratégique de production des énergies marines renouvelables. Espace potentiellement de production, l'espace Manche est aussi une zone de distribution et de consommation potentielle. Dans cette perspective, les ports et leurs hinterlands respectifs peuvent représenter les futurs hubs énergétiques de demain.
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