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Atlas Transmanche

A la recherche de nouvelles routes (XVe-XXe siècles)


Pascal Buléon, Louis Shurmer-Smith

 

Deux pôles majeurs reliés par des routes maritimes et terrestres très fréquentées structurèrent cette nouvelle géographie économique. Ces deux pôles étaient, au sud, les cités du nord de l’Italie, particulièrement les ports de Gênes, Pise et Venise, et au nord, les cités de Gand, Ypres et Bruges.

 

 

Croissance, nouveaux besoins, dynamique économique et politique très spécifiques des sociétés européennes des XVe - XVIe siècles, ont sans cesse vivement stimulé l’expansion économique et géographique de l’Europe. Les expéditions et les voyages de découvertes élargissent considérablement les horizons, ouvrent de nouvelles routes maritimes, font apparaître nouvelles terres et nouvelles ressources. Le voyage de Cartier dans l’Atlantique Nord-Ouest conduisit à la découverte du Saint-Laurent, sur ses traces Champlain fondera Québec et la France organisera un lucratif commerce de fourrures, poissons et bois. Pendant la même période, Drake faisait la guerre de course aux flottes espagnoles et portugaises et capturait leurs vaisseaux chargés d’épices, d’or et d’argent. Le même Francis Drake réalisa le second tour du monde, parti en 1577 il revint en 1580. Comme Drake, de nombreux capitaines, agissant à titre privé mais porteurs de lettres de course de la Couronne, étaient considérés comme un des instruments légitimes de la politique du Royaume d'Angleterre. Du côté français, il en était de même, la guerre de course était très active sur la Manche comme sur l’Atlantique et ses acteurs très renommés : Ango de Dieppe et Cartier, Duguay-Trouin et Surcouf de Saint-Malo, la « cité des corsaires ».

Le XVIIe siècle marqua le début d’une nouvelle époque du commerce, Anglais, Français et Hollandais bâtirent leurs empires respectifs et organisèrent une nouvelle économie entre les colonies et les métropoles. Les grandes compagnies qui furent créées, jouèrent un rôle décisif en rassemblant et organisant capitaux et marchands. En Angleterre, l’État se cantonna à délivrer chartes et monopoles; en France, la Couronne prit une option plus interventionniste et organisa fortement les compagnies. Pendant deux siècles, la British EastIndia Company fut une firme commerciale extrêmement puissante contrôlant, à elle seule, la moitié du commerce mondial. Elle administra également ce qui allait devenir un empire, rien de cela ne se fit sans conflit. Le XVIIe connut trois guerres anglo-hollandaises, provoquées par les Navigations Acts, tentatives anglaises pour restreindre l’accès aux routes maritimes du Nord. La rivalité entre l’Angleterre et la France projeta les batailles sur toutes les mers du globe. Depuis le « grand projet » de Cromwell jusqu’à l’hégémonie victorienne, l’importance de la politique maritime dans l’affirmation de la puissance d’État fut plus systématique du côté anglais que du côté français.

En Manche, le commerce fut globalement peu affecté par ces guerres, plus même il prospéra. L’essor des ports de la Hanse avait déjà assuré une montée en puissance du port de Londres dans le commerce international et de nombreux ports de la Manche entre le XVIe et XVIIIe siècle devinrent des places commerciales actives et cosmopolites. Certains, comme Southampton, connurent des phases de stagnation, d’autres comme Le Havre durent attendre de perdre leurs fonctions militaires avant de connaître la prospérité commerciale. Pendant ce temps Rouen, au débouché du riche Bassin Parisien, conservait sa prééminence en Normandie, à la fois comme port et comme place financière régionale. Du côté anglais, les ports de l’Ouest étaient des plus actifs : la ville nouvelle de Falmouth avec son port naturel s’affirmait comme le premier centre urbain de Cornouailles en 1801 et le principal port d’importation de bois ou d’exportation d’étain à destination de Londres et du continent. Vers la fin du XVIIe siècle, les pêcheries de Terre-Neuve et le commerce de la morue vers les pays catholiques de l’Europe du Sud connurent une période florissante qui fit se développer Dartmouth comme jamais auparavant. Cette activité était tout aussi importante dans les ports de l’autre côté de la Manche, avec des spécialisations et des destinations de pêche qui variaient selon les ports, ainsi Granville à l’Ouest allait chercher la morue sur les « Grands Bancs », Boulogne, à l’Est, le hareng en mer du Nord et Fécamp pratiquait les deux activités.

Petits ou grands, la plupart des ports de la Manche développèrent des échanges commerciaux avec les colonies de chaque empire en Amérique du Nord et dans la Caraïbe, Le Havre fut ainsi le troisième port français de ce commerce y compris le commerce triangulaire jusqu’en 1788. Armateurs et commerçants bâtirent des compagnies qui traversèrent plusieurs générations. Parmi ces armateurs, dont les flottes comptaient jusqu’à 20 à 30 bateaux, l’un des plus connus est Jean Ango qui joua un rôle clé dans le développement de Dieppe et l’expansion du commerce transatlantique dans la première moitié du XVIe siècle.

Tout au long de cette période, à côté du commerce légal, il y eut aussi un trafic moins officiel mais très lucratif sur les deux côtes. La contrebande était une véritable activité, touchant toutes les classes sociales, arrivant même à constituer de véritables fronts communs au sein de communautés locales ou même entre communautés à travers la Manche. Particulièrement vivace en temps de guerre, elle constituait en permanence une forme d’opposition populaire aux politiques économiques et douanières des gouvernements.

 

 

L’Angleterre et la France, avec leur commerce maritime lointain, accédèrent à de nouvelles ressources, élargirent leurs marchés et développèrent leurs capitaux. Au milieu du XIXe siècle, la révolution industrielle avait fait de la Grande-Bretagne « l’atelier du monde », elle produisait plus de la moitié du marché mondial des marchandises manufacturées. La diffusion par-delà la Manche de compétences techniques, commerciales et financières vers d’autres pays fut rapide. On le vit assez largement dans les exploitations minières et dans le textile du Nord de la France, cela fut même le cas pour la construction du réseau du chemin de fer entre Paris, la Normandie et la Picardie, construction à laquelle des ingénieurs anglais participèrent.

L’urbanisation a été un des changements induits par la croissance démographique les plus visibles, particulièrement après 1750. Autant que les migrations au sein de chaque pays, l’émigration a été un des phénomènes les plus spectaculaires de cette période. L’espoir d’un avenir meilleur a emmené vers le Nouveau Monde des vagues croissantes d’émigrants. Dans les années 1830, l’émigration européenne était de 100 000 personnes par an, au tournant du siècle elle avait atteint 1 500 000 ; une grande part de ce flot humain venait d’Europe Centrale et de l’Est ainsi que de Russie et embarquait à Cherbourg, Southampton et Le Havre.

Le port de commerce de Cherbourg s’est développé avec cette émigration massive vers l’Amérique du Nord. En 1900, le trafic des passagers avait atteint 30 000 par an et en 1929 il dépassait 200 000 sur 11 compagnies. Le style Art déco des salles de la gare maritime de Cherbourg est le dernier témoin pour rappeler cette époque où le paquebot transatlantique était le symbole du progrès technologique et du prestige national. La Compagnie GénéraleTransatlantique des frères Pereire avait signé en 1860 avec l’État français un contrat l’engageant à desservir pendant 20 ans la ligne Le Havre-New York. La Cunard avait emporté devant Brunel le contrat transatlantique, mais pendant ce temps la Peninsular SteamNavigation Company avait déjà fait de Southampton son port d’attache pour ses liaisons avec la péninsule Ibérique. Avec l’ouverture du Canal de Suez en 1869 et l’adjonction d’Orient à son nom, la P&O assurait des lignes passagers sans rupture vers l’Inde et l’Australie. De même en 1842, la Royal MailSteam Packet Company reliait Southampton à la Caraïbe et l’Union Line à l’Afrique du Sud. Comme Cherbourg et Le Havre jouèrent le rôle de porte d’entrée pour les colonies, Southampton fut le port d’embarquement des expéditions militaires de l’Empire britannique au XIXe et du corps expéditionnaire en France pendant la Première Guerre mondiale. Beaucoup plus tard dans les années 1950, la concurrence du transport aérien mina petit à petit le trafic transatlantique, la gare maritime de Cherbourg ferma finalement ses salles internationales en 1968, suivie du Havre en 1974 et de Southampton en 1980. C’était la fin de la grande époque des « transats ».

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