Découpage administratif (2016)
Frédérique Turbout
Comprendre les systèmes administratifs qui régissent les territoires français et britanniques est un exercice complexe, surtout si on souhaite établir des comparaisons. Il n'existe pas de réelles correspondances entre les unités administratives de part et d'autre de la Manche. Ces différences rendent parfois difficile, voire même impossible, les comparaisons statistiques entre territoires transmanche.
1. Organisation des territoires en Angleterre
L'Angleterre est l'une des quatre nations qui composent le Royaume-Uni avec l'Écosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord. À l'origine, les unités de base découpant les territoires étaient les comtés (counties) et les paroisses (parishes). Si bien souvent le terme county et shire sont considérés comme synonymes, historiquement, ils se distinguent l'un de l'autre par leur fonction et objet. À l'époque médiévale, le comté avait à sa tête un lord dont il était le domaine. Durant la période anglo-saxonne, les shires firent leur apparition et furent créés initialement pour la levée des taxes et impôts. Aujourd'hui, les comtés tels qu'ils existent en Angleterre sont un savant mélange de ces deux héritages, county et shire, leurs limites spatiales ayant beaucoup évoluées au fil du temps.
1.1. Un peu d'histoire
Le découpage des territoires anglais est un héritage direct de la période anglo-saxonne et romaine. Durant la période anglo-saxonne, le pays était divisé en royaumes (ou Heptarchie). Sur la base de cinq de ces sept royaumes saxons naquirent des comtés comme le Kent, l'Essex, le Sussex ou bien encore l'Hampshire ; ils formèrent une partie des « comtés historiques » du sud anglais et servirent également de base à l'établissement des régions anglaises.
Les comtés tels que nous les connaissons aujourd'hui sont des héritiers de ces « comtés historiques » auxquels se sont ajoutés de nouveaux comtés mis en place à la suite de la Conquête Normande, au XIIe siècle. C'est à cette époque qu'ils reçurent des fonctions plus étendues, administratives, politiques et législatives.
Ces comtés sont subdivisés en parishes. Ce sont ces parishes ou paroisses qui servent à cette époque d'unités de base à l'organisation du système administratif britannique et elles le resteront jusqu'en 1834. À l'origine, les parishes étaient des découpages ecclésiastiques, mais lorsqu'en 1535, le roi Henri VIII d'Angleterre rompt avec le Pape et Rome, les parishes deviennent alors des unités administratives civiles gérées par un conseil ou Parish Council ou lorsque la paroisse est de taille conséquente, par un City Council. Trois siècles plus tard, ces paroisses furent regroupées en poor law unions, unités spatiales qui permettaient de verser une aide financière aux plus pauvres et qui servirent de base au recensement de la population.
Cette période de la fin du XIXe siècle est celle du dépoussiérage du système administratif anglais, vieux de près de dix siècles. Les comtés administratifs sont créés sur la base des comtés historiques en 1888-1889.
En 1894, sur la base des poor law unions sont créés par le Local Government Act des districts urbains et des districts ruraux. Ces derniers deviennent des subdivisions des comtés eux-mêmes mis en place quelques années auparavant.
En 1900, Londres est subdivisé en 28 districts métropolitains et ce n'est qu'en 1965 que sont créés le Grand Londres (Greater London) et ses 32 boroughs (quartiers).
En 1974, les comtés métropolitains et les comtés non métropolitains sont mis en place. À cette occasion, de nombreux comtés historiques disparurent et plus généralement tous ont alors connu des modifications de leurs limites géographiques. Entre 1995 et 1998, ils vont à nouveau subir des réajustements et modifications. Ces découpages administratifs seront complétés en 1992 par les unitary authorities.
1.2. Les régions anglaises
Comme les comtés historiques, les régions anglaises ont des limites héritées des découpages en royaumes datant de la période anglo-saxonne. L'idée de constituer des régions en Angleterre est ancienne. La première initiative date de Cromwell en 1650, des régions proches de celles existant aujourd'hui furent créées, puis abandonnées.
À la veille de la Première Guerre mondiale, l'idée ressurgit, et le gouvernement britannique envisage de mettre en place des régions administratives. Winston Churchill lui-même propose en 1912 de créer 10 à 12 régions parlementaires, sans réelle suite.
Dans les années 1930, des premiers découpages régionaux apparaissent pour permettre une meilleure gestion des territoires, en particulier pour le recensement de la population, la fourniture d'électricité ou la défense civile. Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que neuf standard regions voient le jour. En 1973, leur nombre passe à 8 pour se calquer sur les nouveaux découpages des comtés et permettre une mise en place des politiques de planification plus efficace.
En 1994, le gouvernement de John Major crée les GORs (Governement Office Regions) qui ont pour vocation de mieux coordonner les différents services régionaux dans les domaines du commerce, de l'industrie, de l'emploi, des transports ou de l'environnement. En 2011, ces régions, bras armés des politiques gouvernementales aidées des agences régionales de développement allouées à chacune d'entre-elles, sont supprimées en tant que telles. Cette décision découle d'un rapport du Conseil du Trésor datant de 2007 et du gouvernement de Gordon Brown où il était expliqué que les autorités locales devraient avoir plus de pouvoirs décisionnels et ce au détriment des pouvoirs dévolus aux GORs, lesquels étaient donc condamnés à disparaître.
Aujourd'hui, les régions ne conservent plus seulement qu'un rôle d'entité spatiale de référence statistique.
La zone transmanche, côté anglais, compte deux grandes régions, le South East et le South West, auxquelles il faut ajouter une partie de l'East of England et Greater London.
1.3. Échelon 2 : apparition des comtés métropolitains et non métropolitains
En 1974, le système administratif se dote de subdivisions supplémentaires, les comtés métropolitains (metropolitan county) et non métropolitains (non-metropolitan county). Ils viennent remplacer un système ancien, datant de la fin du XIXe siècle, celui des comtés administratifs, eux-mêmes hérités des comtés historiques. Chaque comté non métropolitains est géré par un County Council élu pour 4 ans. L'Angleterre compte aujourd'hui 6 comtés métropolitains et 28 comtés non métropolitains, auxquels il faut ajouter le Grand Londres. La zone transmanche compte aujourd'hui 18 non-metropolitan counties. Ces comtés sont subdivisés en districts, ou boroughs dans le cas de Londres.
1.4. Échelon 3 : les districts
Les districts sont divisés en deux groupes, ceux correspondant à la subdivision des comtés métropolitains et ceux correspondant à celle des comtés non métropolitains.
Les districts métropolitains détiennent les pouvoirs de décision et remplacent ainsi les conseils de comtés métropolitains (metropolitan county councils) qui disparaissent en 1986. Les districts ont des tailles variables, comprises entre 174 000 et 1,1 millions d'habitants.
Les districts non métropolitains sont la seconde forme de district et la plus répandue en Angleterre. Ils sont la sous-unité de base des comtés et les divisent en unités administratives dont la population varie entre 25 000 et 200 000 habitants. La zone transmanche anglaise en compte 94 au total. Ces districts sont organisés autour de conseils de districts et partagent leurs fonctions avec les conseils de comtés de la façon suivante :
- Conseils de districts : collecte des déchets, planification locale, habitat social...
- Conseils de comtés : services locaux d'éducation, services sociaux, voiries…
Certains comtés n'ont qu'un seul district et dans ce cas n'ont pas de conseil de district, le conseil de comté assure l'ensemble des fonctions mentionnées précédemment. Ce fut le cas du comté de Cornwall et de celui du Wiltshire jusqu'en 2009.
Entre district et comté, un nouveau découpage administratif voit le jour en 1992, les unitary authorities.
1.5. Échelon 4 : les unitary authorities (UA)
En 1992, les comtés métropolitains et non métropolitains ont connu des réajustements. Les unitary authorities sont venus compléter le système. Créées sur la base des districts non métropolitains, ce sont des unités administratives indépendantes qui correspondent pour l'essentiel à de grandes unités urbaines, telles Portsmouth, Southampton, Brighton and Hove, Plymouth, Poole… Les unitary authorities ont à la fois les compétences des districts et celles des comtés non métropolitains.
Il existe quelques cas particuliers tel le comté de Berkshire, l'un des plus anciens comtés historiques anglais composé de 6 unitary authorities depuis 1998 : Slough, Wokingham, Windsor and Maidenhead, Bracknell Forest, Reading et West Berkshire.
L'île de Wight est un autre de ces cas particuliers qui fut rattaché jusqu'en 1992 au comté du Hampshire puis devint un unitary authority. Enfin, deux comtés devinrent en 2009 des unitary authorities, les comtés de Cornwall et du Wiltshire. La zone transmanche anglaise compte aujourd'hui 28 unitary authorities.
1.6. Échelon 5 : les parishes (paroisses)
Les parishes sont des unités administratives de base qui subdivisent les districts. Leur taille est très variable, de 80 000 à 1 000 habitants. On en comptait près de 10 500 en 2010 pour toute l'Angleterre, elles se confondent parfois avec certains wards dont elles épousent les limites territoriales. Leurs compétences sont très proches de celles des districts en matière d'urbanisme, de planification urbaine, d'aménagements de type éclairage public ou entretien des voiries. La zone transmanche anglaise compte 5 047 parishes.
1.7. Échelon 6 : les wards
Les wards constituent le plus petit échelon de la géographie administrative anglaise. Le ward est l'unité de base qui compose le district et il assure également le rôle d'unité de base du découpage électoral. Il regroupe en moyenne 5 500 habitants. Tous les districts et comtés sont donc composés à la base de wards, tous sauf les îles Scilly qui n'ont pas de découpage électoral. Elles utilisent leur découpage en paroisses (parishes). La zone transmanche anglaise compte aujourd'hui 3 767 wards.
1.8. Le cas de Londres
L'administration de Londres a toujours constitué un cas à part en Angleterre. Cœur historique de l'Angleterre, la City de Londres, aujourd'hui première place financière européenne, a toujours été une unité administrative à part entière avec une gestion réservée à une corporation propre à la cité londonienne, la City of London Corporation. Lorsque en 1889, le comté de Londres est créé, il l'est sur la base de la City et de quelques ajouts de « bouts » de comtés voisins comme ceux du Kent, du Middlesex et du Surrey. En 1965, lorsque le Grand Londres est créé, une fois encore il emprunte des morceaux de territoires aux comtés voisins du Kent, de l'Essex, du Surrey et de l'Hertfordshire. Greater London est alors subdivisé en boroughs (quartiers), 32 au total, qui ont en charge l'administration des services sociaux, de l'éducation, de l'entretien de la voirie et de la gestion des déchets, en quelque sorte l'ensemble des tâches dévolues dans les autres comtés aux conseils de comtés et de districts.
Parmi les 32 boroughs composant le Grand Londres, il faut distinguer les 12 unités qui sont proches du centre de Londres, formant ce que l'on nomme Inner London (ancien comté historique de Londres) et les 20 autres plus périphériques formant l'Outer London. Trois de ces boroughs sont également des arrondissements royaux : Kensington et Chelsea, Kingston upon Thames et Greenwich et un seul est une cité, City of Westminster.
L’Office for National Statistics et les services de recensement utilisent le terme Inner London en y incluant les districts de Haringey et Newham mais en excluant Greenwich qui est classé dans l’Outer London. Cette définition est également utilisée par Eurostat pour classer l’Inner London en NUTS de niveau 2. L’Inner London se compose de 13 boroughs selon la classification statistique actuelle et l’Outer London de 19.
2. Organisation des territoires en France
La France est organisée en cinq niveaux de découpages administratifs, de la commune à la région.
2.1. Échelon 1 : les régions
Les régions françaises sont une création récente du système d'organisation administratif et territorial français. Décidées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le découpage de la France en régions visait avant tout à rendre plus efficace une planification territoriale à 5 ans. Edgar Faure, alors président du Conseil, décide en 1955 de lancer des programmes d'action régionale et pour cela, il faut définir un échelon administratif d'intervention, ce seront les régions dont il faut alors dessiner les contours.
Le Commissariat Général au Plan dote ces régions d'un cadre légal, elles deviennent « Régions de programme ». C'est ainsi que le 28 novembre 1956, 22 régions sont dessinées sur l'hexagone. Dès lors, toutes les administrations qui jusqu'alors opéraient avec leurs propres découpages, doivent calquer leurs subdivisions sur ces 22 régions de programme.
En 1972, une loi portant création et organisation des régions les dote d'un établissement public administré par un conseil, le Conseil Régional épaulé dans cette tâche par un Conseil Économique et Social Régional (CESR). Il faudra attendre 10 ans pour qu'elles obtiennent un statut de collectivité territoriale à part entière, par la loi du 2 mars 1982. Quatre ans plus tard, elles se doteront de représentants élus au suffrage universel, les conseillers régionaux.
La récente loi de Réforme Territoriale fait voter le 17 décembre 2014 une nouvelle carte de France des régions, réduisant leur nombre de 22 à 13. Le 15 janvier 2015, le Conseil Constitutionnel valide cette décision, la France compte donc aujourd'hui 13 nouvelles régions, non sans difficultés.
Cette reconfiguration du paysage géographique français va doter les 13 nouvelles régions de compétences stratégiques accrues qui viendront s'ajouter aux fonctions déjà existantes en matière de développement économique, d'aménagement du territoire et de développement durable, de formation professionnelle et de soutien à l'enseignement supérieur à la recherche et l'innovation, et d'obligation de service dans les transports régionaux ferroviaires et routiers.
Cet échelon administratif et politique est un maillon essentiel de la politique de décentralisation française. La zone transmanche, côté français compte donc quatre régions nouvellement créées : Bretagne, Normandie, Hauts-de-France et Île-de-France. Ces régions sont composées de départements, qui à l'inverse de ces dernières, sont une création ancienne datant de la Révolution française.
2.2. Échelon 2 : les départements
Quelques mois après la Révolution française, l'Assemblée Nationale décide de réorganiser le découpage du territoire français. Entre le 15 janvier et le 16 février 1790, la France se dote de 101 départements, dont 96 en métropole. Définies sur la base des anciennes provinces qui composaient le Royaume, les départements adoptent des toponymes directement inspirés de leurs caractéristiques physiques, hydrographiques, culturelles ou géographiques, tels le Nord, les Côtes-du-Nord, le Calvados, l'Orne, la Seine-Maritime…
Placés sous l'autorité d'un préfet, ces départements deviennent en 1871 des collectivités territoriales. Leur nombre évoluera au fil de l'histoire et des conquêtes ou pertes de territoires, passant de 83 à 130 au maximum. En 1946, les quatre départements français d'outre-mer sont créés, Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion. En 1968, c'est au tour des départements franciliens d'être réorganisés. En 1976, la Corse se scinde en deux départements et en 2001, un nouveau département est créé outre-mer, à Mayotte, qui devient ainsi le 101e départements français.
À la tête du département, le préfet a pour mission de coordonner et de mettre en œuvre les politiques de l’État en matière d'aménagement du territoire, de développement et d'actions sociales et économiques, de logement, d'éducation, de culture ou d'environnement. Le département en tant que circonscription administrative est gérée par une assemblée, le Conseil Général avec à sa tête un président élu par des conseillers généraux, eux-mêmes élus au suffrage universel.
La zone transmanche compte 22 départements français.
2.3. Échelon 3 : les arrondissements
L'arrondissement est une subdivision du département. Ils sont administrés par des sous-préfets et datent du 17 février 1800. Le terme arrondissement est également utilisé pour désigner le découpage propre à certaines grandes communes françaises telles que Paris, Lyon ou Marseille, dans ce cas il s'agit alors d'arrondissements municipaux qu'il ne faut pas confondre avec l'arrondissement administratif. Côté français de la zone transmanche, on compte 83 arrondissements administratifs répartis dans les divers départements.
2.4. Échelon 4: les cantons
Le canton est une subdivision de l'arrondissement. Il s'agit avant tout d'une circonscription électorale dans laquelle sont élus les conseillers généraux composant le Conseil Général du département. Le découpage des cantons ne suit pas nécessairement celui du tracé des limites des communes qui composent le canton. Certaines communes sont parfois découpées en plusieurs cantons électoraux. On dénombre 1 056 cantons dans la partie française de l'Espace Manche.
2.5. Échelon 5 : les communes
La commune est l'échelon de base du découpage administratif français. Leur taille est très variable tout comme leur population. Crées le 14 décembre 1789 par l'Assemblée Constituante, elles ont pour vocation d'uniformiser des découpages datant du Moyen-âge qui tantôt prenaient le nom de « bourg », tantôt celui de « paroisse ». Dès leur création, leurs rôles ont été bien définis : il s'agissait de remplir des fonctions propres au pouvoir municipal, donc dans la gestion des affaires locales mais aussi de remplir des fonctions d'administration générale de l’État dont la commune est la déléguée. À la fois collectivité locale décentralisée et circonscription administrative, la commune est administrée par un maire élu par un conseil municipal. Le maire est un agent de l’État qui a pour fonction de faire exécuter et appliquer les lois de la République française, d'exécuter des mesures de sûreté générale et quelques fonctions spécifiques en tant qu'officier d’État civil et de police judiciaire.
Les communes ont pour principales compétences la gestion de l'aménagement de leur territoire, l'urbanisme local, la gestion de certaines infrastructures (ports, aéroports), le financement des écoles élémentaires et maternelles et l'action sociale et culturelle. La France compte actuellement 36 681 communes (1er janvier 2014). Côté français de la zone transmanche, on dénombre 9 619 communes, soit un peu plus d'un quart du total des communes françaises, dont la capitale parisienne.
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