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Atlas Transmanche

Croissance urbaine et territoires en marge (2011)


Frédérique Turbout

 

L'espace Manche a vu sa population s'accroître fortement depuis 10 ans. Ce sont ainsi quelques 10,6 millions d'habitants supplémentaires qui ont été recensés dans la zone. Cette croissance ne s'est pas répartie équitablement dans les départements, comtés ou Unitary Authorities de la zone Manche. Ce sont avant tout les deux grandes métropoles et leurs régions, le Grand Londres et l'Ile-de-France qui ont enregistré quelques 8,9 millions d'habitants supplémentaires. Le reste de la zone a connu un accroissement de sa population de quelques 1,7 millions d'habitants, ce qui équivaut à la population de l'Hampshire et de l'Essex réunis. Si on exclut les deux grandes régions-capitales, la population totale s'élève à 29,8 millions d'habitants, contre 28,1 millions en 2001. Dans ce vaste ensemble transfrontalier, des similitudes existent cependant. Sur les dix dernières années la population de la zone transmanche s'est accrue de près de 27 %. Cette croissance forte est en grande partie due à la croissance des deux capitales, Londres et Paris et de leurs régions respectives. En faisant abstraction de ces deux « région-capitales », la croissance démographique est nettement plus faible, de l'ordre de 6 %. Tous les territoires de l'espace Manche ont enregistré un accroissement de leur population, exception faite du département de l'Orne dans la région Basse-Normandie, qui enregistre une décroissance de 0,26 % sur la période 2001-2011. Dans ce vaste ensemble transmanche, quatre grands groupes de territoires peuvent être caractérisés en tenant compte de l'évolution de leur population.

 

Croissance de la population 2001-2011

Source : RGP 2011, Census 2011. F. Turbout, 2014.

1. Territoires en marge

Deux types peuvent être identifiés : des espaces restreints de par leur taille à forte concentration de population qui laissent supposer qu'au-delà d'une certaine densité d'habitants, se développe un phénomène de « saturation » entraînant une moindre croissance démographique. À ces espaces s'ajoutent des zones moins attractives ne pouvant plus seulement compter sur une croissance démographique assurée par d'éventuels excédents naturels. Il s'agit là de territoires de faibles croissances (inférieure à 5 %) : pour nombre d'entre eux, ce sont comme énoncé précédemment de « petites » unités spatiales aux superficies faibles et aux concentrations de population très fortes, proches de la saturation. Elles se localisent pour l'essentiel en Angleterre : Torbay, Wokingham, Bracknell Forest en sont quelques illustrations.

Côté français, les territoires, qui jusqu'aux années 1990 appartenaient au « Croissant fertile français1 », affichent des croissances de la population faibles : Aisne, Somme, Nord, Pas-de-Calais, Seine-Maritime. Cette situation témoigne d'une baisse des naissances et d'un solde naturel qui dégage donc des excédents moins importants que durant les décennies précédentes. La population ne s'accroît plus aussi rapidement. Moins attractives que les autres régions françaises de la zone, ces territoires enregistrent tous depuis une quarantaine d'années des soldes migratoires négatifs. C'est encore le cas pour la période récente 1990-2001 (de -0,1 % à -0,5 % de variation annuelle de la population due au solde apparent des entrées sorties).

Ces départements ne peuvent compter, pour voir augmenter leur population, que sur la balance du solde naturel excédentaire, mais qui accuse également une baisse depuis dix ans.

2. Dans la moyenne transmanche

Ces derniers (entre 5 et 7 %) regroupent un tiers des espaces dans la zone, tant en France qu'en Angleterre. Ils sont toutefois beaucoup plus nombreux côté anglais, 15 au total contre 4 côté français. Le Calvados et le Finistère font partie de cet ensemble à croissance modérée, bien que l'un et l'autre aient connu une évolution démographiquement différente. Le Calvados enregistre une croissance de l'ordre de 5,37 % entre 1999 et 2010, due en grande partie à un solde naturel excédentaire évoluant au rythme de + 0,4 % par an. Le Finistère, avec une croissance équivalente sur la même période (+ 5,27 %) doit ce résultat au bon score de son solde migratoire (+ 0,4 % par an).

Ces situations a priori identiques cachent en fait des comportements démographiques bien différents dont ces deux départements français sont l'illustration.

3. Des territoires sous influence

Cette catégorie est composée de territoires ayant enregistré des croissances comprises entre 7 et 12 %. On y observe différents profils : des territoires proches des métropoles nationales (Londres et Paris), ou directement dans leurs aires d'influence, des territoires accueillant une grande aire urbaine attractive aux populations voisines, et des territoires où la présence ou non d'aire urbaine n'est pas déterminante pour que s'accroisse fortement la population. Pour ces derniers, la croissance de la population est à mettre en relation avec un autre facteur démographique majeur : le vieillissement de la population. Ces espaces correspondaient déjà au précédent recensement à des territoires vieillissants, particulièrement attractifs pour les migrants retraités. À un vieillissement  structurel, mécanique lié à l'évolution de nos sociétés et un allongement de la durée de vie en parallèle d'une baisse relative des naissances, s'ajoutaient alors de nombreuses arrivées de retraités migrants. Côtes d'Armor en France, Bournemouth, Poole, Brighton and Hove en Angleterre faisaient parties de ce lot de territoires vieillis. Dix ans plus tard, la situation semble n'avoir pas évoluée et pourtant la population s'est accrue fortement. Deux raisons peuvent expliquer cette évolution : soit les naissances ont augmenté et le solde naturel est très largement positif, soit les migrations se sont poursuivies. Cette dernière hypothèse semble plus probable avec cependant une grande nuance : la croissance est telle qu'on peut supposer qu'aux migrations de retraités se sont ajoutées des migrations de jeunes, venus par exemple, occuper des emplois directement ou indirectement liés au vieillissement de la population et favorisant le développement d'une « silver » économie.

4. Attractivité urbaine et vieillissement massif

Avec des croissances démographiques dépassant les 12 % sur les dix dernières années, cette catégorie est celle des records. Elle regroupe les espaces urbains majeurs (Rennes, Londres, Milton Keynes, Bristol...) mais aussi des territoires où l'arrivée de nouveaux retraités a été massive : l'île de Jersey et le département du Morbihan sont dans ce cas de figure.

L'espace Manche, avec près de 49,8 millions d'habitants si on y inclut les deux métropoles internationales se révèle être, comme lors des précédents recensements, un espace majeur de concentration des populations européennes. Ce n'est pas le plus important, mais son poids est conséquent à l'échelle du continent.

Les évolutions des territoires transmanche peuvent apparaître très disparates mais une analyse plus fine permet de révéler des permanences, des points communs. La configuration géographique de la zone en fait un espace littoral accueillant et attrayant, offrant une variété de paysages et de lieux de vie. Les nombreuses unités urbaines, grandes, moyennes ou petites qui jalonnent les deux façades jouent leur rôle de pôles urbains attractifs alors même que les espaces plus ruraux accueillent de plus en plus de populations en provenance des aires urbaines, et se vident peu à peu au fur et à mesure qu'on entre plus profondément dans les terres. Cet espace Manche apparaît une fois de plus aux yeux de l'observateur comme un condensé de situations démographiques observables à l'échelle européenne, une sorte « d'espace laboratoire » qui permet d'ores et déjà de prendre la mesure de ce que pourrait être demain le principal enjeu social de nos sociétés : le vieillissement de la population et ses conséquences. L'analyse plus approfondie de la structure de la population et la qualification plus affinée des territoires transmanche va permettre de révéler des situations en devenir.

Dans cet espace Manche où se concentrent les populations et les activités, les grandes aires urbaines et les deux grandes métropoles internationales jouent leur rôle de pôles attractifs à plein. Densément peuplées, ces aires métropolitaines marquent les paysages transmanche de leur empreinte démographique, plutôt jeune et dynamique. Elles entraînent dans leurs sillages les territoires voisins et sont relayées par d'autres unités urbaines moyennes dessinant ainsi un paysage de transition où les populations viennent peu à peu « coloniser » ce rural proche des métropoles, ce périurbain éloigné. Les campagnes à proximité des villes changent de paysage, le royaume de la maison individuelle s'étend de plus en plus profondément dans le rural, les territoires s'adaptent à la demande et aux besoins des populations, alors même qu'à l'inverse de ce mouvement de croissance auréolaire des unités urbaines, le rural profond se vide progressivement et vieilli fortement.


1 Le « Croissant fertile français » est une zone où taux de natalité et taux de fécondité étaient bien au delà de la moyenne française.

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