Les énergies marines renouvelables (2016)
Frédérique Turbout
Face au défi énergétique auquel sont confrontées les sociétés modernes, les énergies marines renouvelables ou EMR représentent un véritable enjeu pour demain. Certaines techniques demandent encore à être améliorées et nécessitent des expérimentations sur site avant de pouvoir être développées à grande échelle. C'est le cas de l'énergie hydrolienne qui utilise des turbines actionnées par les courants marins pour produire de l'énergie. L'éolien offshore, autre source possible d'énergie issue de l'exploitation des potentiels naturels du milieu maritime, est d'ores et déjà une réalité pour de nombreux États, particulièrement en Mer du Nord. Jusqu'en 2012, avec notamment les installations des parcs Horns Rev 1 et 2, le Danemark était leader en la matière (capacité totale 921 MW). Depuis, le Royaume-Uni est et demeure le leader mondial et possède le plus grand parc éolien offshore au monde, London Array au large de l'estuaire de la Tamise. En 2015, la puissance installée totale des parcs éoliens en mer est de 5 061 MW pour le Royaume-Uni, suivi de l'Allemagne avec 3 295 MW, le Danemark se plaçant en 3e position avec 1 271 MW. La mer de la Manche offre un très fort potentiel en matière énergétique. Des vents forts et constants, des courants qui peuvent dépasser les 7 nœuds, une houle puissante et de forts marnages sont autant de sources possibles de production d'énergie. Toutes ces potentialités sont présentes en Manche à un niveau rarement réuni sur le globe.
En matière d'éolien offshore, la Manche offre également un espace potentiel de développement parmi les plus importants au monde. Les installations se multiplient, particulièrement le long des côtes britanniques et les perspectives sont impressionnantes en termes de puissances attendues. Toutefois, l'implantation de telles infrastructures lourdes, ne se fait pas sans poser de problème, ce que l'on nomme l'acceptabilité sociale est une donnée clé du développement de ces nouvelles sources d'énergie marines. Bien souvent les projets se heurtent aux riverains et aux usagers de la mer. Malgré ces quelques réticences, il semble aujourd'hui quasiment impossible d'ignorer cette manne énergétique à plus ou moins long terme. Faire cohabiter ces nouvelles activités avec d'autres plus anciennes est un enjeu majeur des prochaines décennies.
1. État des lieux des différentes sources d'énergies marines renouvelables (EMR)
Les énergies marines renouvelables regroupent sept grandes familles de technologies qui ne sont pas toutes au même stade de développement, certaines ayant fait leur preuve, d'autres demandant à être améliorées et expérimentées en milieu naturel. Toutes ces technologies ont cependant en commun le fait d'utiliser le milieu maritime comme force ou source de production d'énergie. La plus répandue de ces technologies est aujourd'hui l'éolien offshore posé.
1.1. Eolien offshore posé
L'éolien offshore posé est la technologie la plus développée à l'heure actuelle. Sur le même principe que l'énergie éolienne terrestre, elle utilise le vent disponible à la surface des mers pour activer des pâles et une turbine, lesquelles génèrent de l'électricité.
1.1.1. Les conditions d'installation
À la différence de l'éolien terrestre, l'éolien offshore permet des installations plus importantes qu'à terre, avec des éoliennes plus hautes (185 mètres environ) et supportant sur des étendues plus grandes, des vents plus forts. Autre avantage, les vents en mer sont souvent plus forts mais aussi plus constants car les obstacles en mer sont absents. On estime ainsi qu'une éolienne offshore peut fonctionner à pleine puissance 45 % du temps. Alors qu'une éolienne terrestre produit environ 3 MW, une éolienne offshore pourrait produire jusqu'à 5 MW. À puissance égale, une éolienne offshore peut produire jusqu'à deux fois plus d'électricité qu'une éolienne terrestre mais son coût d'installation est de 30 à 50 % plus important.
Ces avantages en termes de production souffrent cependant de contraintes physiques plus fortes. Les éoliennes offshores doivent être installées dans des zones peu profondes, entre 30 et 40 mètres de profondeur maximum, donc en zone côtière proche, espace déjà soumis à de fortes pressions d'usages. Notons également que compte tenu de l'état actuel des développements technologiques dans ce domaine, le raccordement à terre et aux espaces de consommation ne souffre pas l'éloignement, faute de technologies permettant le stockage de grandes quantités d'énergie en mer. Cela implique donc une certaine proximité de la bande côtière et des espaces de consommation. Le milieu marin implique également de construire des installations plus résistantes au vent, au courant et à la corrosion, qu'il s'agisse de l'éolienne elle-même comme de son système de raccordement à la terre. Deux systèmes existent, l'un par ensouillage (câble enfouie sous le sable), l'autre par enrochement (câble enfouie sous un enrochement artificiel). l'implantation des éoliennes ainsi que l'entretien de ses installations et les moyens nécessaires pour assurer la maintenance sur site sont également plus importants et nécessitent l'usage et la mobilisation de navires et de personnels spécialisés. Compte tenu de ces contraintes liées à l'environnement marin lui-même, le coût d'installation de ces technologies est plus élevé que celui de l'éolien terrestre, soit 3,5 millions d'euros par mégawatt installé. Le câblage permettant le raccordement à terre est, quant à lui, estimé à 0,5 millions d'euros du kilomètre, et l'entretien de l'ensemble reviendrait à 3 millions d'euros le mégawatt. Les investissements nécessaires au développement de cette technologie sont très lourds. La filière a d'ores et déjà mobilisée pas moins d'un milliard et demi d'euros en 2009 et les investissements se poursuivent. En Europe, on estime que ce seront près de 200 milliards d'euros qui devraient être investis dans l'éolien offshore posé d'ici 2020.
1.1.2. Les leaders du domaine
Deux grands groupes sont aujourd'hui leaders dans le domaine de l'éolien offshore : l'allemand Siemens qui détient 60 % du marché en 2015, suivit de Adwen (alliance du français AREVA et de l'Indien GAMESA) avec 18,2 % du marché et enfin du danois MHI Vestas avec 12,9 % de part de marché. À eux trois, ils répondent à plus de 90 % des commandes dans le monde. Vestas a ainsi implanté près de 35 000 éoliennes terrestres et 80 éoliennes offshore au Danemark, dans l'une des plus grandes fermes éoliennes au monde : Horns Rev 1 et 2.
Siemens est le principal opérateur avec un atout de taille par rapport à son concurrent, il transforme le courant continu de l'éolienne en courant alternatif adapté au réseau récepteur. Siemens détient cette technologie et détient le record du plus grand parc éolien offshore installé dans le monde, celui de London Array au large des côtes anglaises. En 2015, Siemens a ainsi implanté des nouvelles installations pour une capacité supplémentaire de 1,8 millions de MW.
1.2. Éoliennes offshore flottantes
L'éolien offshore flottant est encore au stade expérimental. Des essais de prototypes ont eu lieu dans différentes mers et océans en Europe. Dans l'immédiat et compte tenu des différentes expérimentations en cours, il n'est pas envisagé de déploiement à grande échelle de ce type de technologie avant 2020.
Pour lors, quelques essais ont lieu au large des côtes européennes :
- WINDFLOAT : au Portugal, associant EDP-Renewables à GDF-Suez, fonctionnel depuis 2011 ;
- HYWIND : en Norvège porté par Statoil, concernant des éoliennes implantées en eau profonde ;
- SEA REED : en France, projet porté par EOLFI/VINCI/DCNS, labellisé par le Pôle mer Bretagne. Ce projet doit permettre l'expérimentation d'un engin servant de démonstrateur (turbine de 6 MW). La fabrication plusieurs fois reportée, abandonnée puis finalement relancée doit permettre le test grandeur nature au large de l'île de Groix.
1.3. Hydroliennes
Dans l'éventail des énergies marines renouvelables, l'hydrolien tient une bonne place tant les potentiels sont importants, particulièrement dans les mers européennes. Cette technologie est basée sur l'utilisation des courants de marée, donc une force prévisible, pour générer de l'électricité. Les caractéristiques techniques se définissent pas l'utilisation de rotors dont la taille peut atteindre 16 mètres de diamètre. Ces rotors portent des hélices qui sous l'effet des courants de marée entrent en mouvement, générant de l'électricité. Pour une utilisation optimale, les courants doivent atteindre 1 à 2 mètres par seconde. Cette condition limite donc l'implantation de ces hydroliennes aux zones les plus courantogènes en mer. Les espaces offrant de telles caractéristiques sont pour le coup, assez peu nombreux, et quand ils existent, ils sont souvent trop éloignés des potentiels lieux de consommation, mais la France dispose d'espaces particulièrement propice à l'implantation de telles technologies, compte tenu des forts courants présents particulièrement en Manche, dans les Raz Blanchard ou d'Ouessant. En principe, on estime à 3 000 à 5 000 heures la durée moyenne d'utilisation de ces hydroliennes.
Deux projets sont ainsi en phase de consolidation au large des côtes bretonnes :
- Une hydrolienne développée par la société OpenHydro (détenue majoritairement par DCNS) a été immergée au large de l'île de Bréhat, par 40 mètres de fond en janvier 2016. Elle est associée à une seconde turbine (installée en mai 2016) permettant ainsi la mise en service d'un "parc démonstrateur hydrolien" installé entre Bréhat et Paimpol.
- La société Sabella a développé une autre hydrolienne immergée dans le Fromveur au large d'Ouessant, d'une puissance de 1 MW qui fournit depuis fin 2015 une partie de l'électricité de l'île. L'expérience va se poursuivre avec l'installation de turbines supplémentaires.
L'énergie hydrolienne représente un enjeu majeur du développement des énergies marines renouvelables, la France de par sa géographie littorale possède des atouts indéniables qui peuvent permettre un développement à court terme de ces technologies. Enfin, autre atout de l'hydrolien, il est moins visible et donc mieux accepté par les populations et acteurs locaux du littoral.
1.4. Usine marémotrice
L'utilisation des marées pour produire de l'électricité a été mise en pratique à la fin des années 1960 en France, avec la construction et la mise en service en 1966 de l'usine marémotrice sur l'estuaire de la Rance en Bretagne. Ce type de technique rencontre cependant de fortes oppositions car l'impact environnemental est particulièrement fort : clôture des baies où sont implantées les usines, piégeage des sédiments et obstacles aux migrations des poissons. D'une puissance de 240 MW, l'usine marémotrice de la Rance produit environ 540 GW par heure. Compte tenu des impacts environnementaux et du coût de production de l'énergie marémotrice, cette technologie n'est pas amenée à se développer dans les prochaines années.
1.5. Énergie thermique des mers ETM
Cette nouvelle forme de production d'énergie utilise le différentiel de température entre les eaux de surface et les eaux de profondeur en mer. De fait, seules les zones maritimes offrant des perspectives de différentiels importants peuvent accueillir ce type de technologie. Les conditions techniques imposent une différence de température d'au moins 20° C entre l'eau de surface et l'eau profonde. On utilise la différence de température de l'eau de mer pour vaporiser et reliquéfier un gaz dans un circuit alimentant une turbine. Cependant, les pompages sont limités à plus de 1 000 mètres de fond, mais le potentiel énergétique est énorme, on l'estime à quelques 80 000 Twh par an en zone intertropicale.
La France, compte tenu de ces territoires ultramarins et des zones maritimes qui les entourent est encore une fois particulièrement bien positionnée pour développer l'énergie thermique des mers. Des expérimentations sont en cours, mais pour lors, une seule usine ETM est en cours de développement à Hawaï. Elle a été inaugurée en août 2015.
1.6. Énergie houlomotrice
Cette énergie est produite à partir de l'énergie générée par les vagues. Le potentiel est colossal, il est estimé à 1 400 Twh par an au niveau mondial et 15 à 23 Twh par an pour la France. Pour le moment il n'y a pas de résultats probants.
1.7. Énergie osmotique
En utilisant la pression générée par le déplacement d'une masse d'eau douce vers une masse d'eau salée, on actionne une turbine qui produit de l'énergie estimée à environ 1 MWh pour 1 m3/s. Cette technologie a pour objet d'être implantée à l'embouchure des fleuves, là où eaux salées et eaux douces se rencontrent. Le potentiel estimé sur la base de l'utilisation de cette énergie est conséquent avec quelques 1 700 TWh par an dans le monde et près de 200 TWh par an en France. Une unité pilote a été implantée en Norvège.
1.8. Algocarburants
Il s'agit de produire de l'énergie à partir de microalgues marines. L'énorme potentiel suppose également de grandes superficies de cultures. Encore au stade expérimental aux États-Unis, il apparaît d'ores et déjà que les rendements sont plus importants que l'huile de palme. La production pourrait représenter 20 000 à 60 000 litres d’huile par hectare par an selon l'IFREMER. Le rendement de conversion de l'énergie solaire par les microalgues est de l'ordre de 3 watts par m2, soit 2 à 10 fois moins que l’énergie éolienne, donc un rendement très faible.
2. Quels potentiels à l'échelle mondiale, européenne, et dans l'espace Manche ?
Selon les différents organismes internationaux, le potentiel mondial lié à la production d'énergie issue des EMR est de l'ordre de 18 500 TWh par an. En Europe, du Portugal à l'Écosse, le potentiel est estimé à 740 TWh par an, soit l'un des plus importants au monde. 12 % de ce potentiel serait aisément exploitable.
C'est donc là une richesse loin d'être négligeable dans le contexte pétrolier actuel. Aujourd'hui en Europe, l'essentiel de la production se concentre autour de l'éolien offshore qui affiche une capacité de production installée de 11 027 MW, soit 3 230 turbines réparties entre 80 fermes éoliennes. Les avancées sont considérables et les installations de nouvelles turbines progressent à grande vitesse. Entre 2014 et 2015, 754 nouvelles turbines (3 018,5 MW) ont été installées dans les mers européennes, essentiellement en mer du Nord (86,1 %), mer Baltique (9,2 %) et en mer d'Irlande (4,7 %).
Total | 80 | 3 230 | 11 027 |
Pays | Nombre de sites | Nombre de turbines | Capacités installées (MW) |
Royaume-Uni | 23 | 1 454 | 5 061 |
Allemagne | 18 | 792 | 3 295 |
Danemark | 13 | 513 | 1 271 |
Belgique | 5 | 182 | 812 |
Pays-Bas | 6 | 184 | 427 |
Suède | 5 | 86 | 202 |
Finlande | 2 | 9 | 26 |
Irlande | 1 | 7 | 25 |
Espagne | 1 | 1 | 5 |
Norvège | 1 | 1 | 2 |
Portugal | 1 | 1 | 2 |
Dans l'espace Manche, les potentiels sont également conséquent. Cet espace maritime offre l'un des plus importants potentiels au monde en termes de production d'énergie éolienne offshore et plus généralement d'énergies marines renouvelables.
Côté français, sur les six zones définies en mer par l'État et ayant fait l'objet d'appels d'offres pour l'implantation d''éoliennes offshore, cinq zones sont situées en Manche. Ces zones dites "de priorités ministérielles" devraient permettre de produire 2 916 MW et rattraper ainsi le voisin anglais. Un nouvel appel à projet a été lancé en avril 2016 et concerne une zone au large de Dunkerque, puissance et superficie ne sont pas établies pour le moment. Côté britannique, le développement de l'éolien offshore est très avancé. Le pays est en tête en Europe et dans le monde. La capacité anglaise installée de ce type d'EMR est de 5 061 MW.
À l'horizon 2020, 13 parcs éoliens devraient jalonner les côtes de la Manche. En France et au Royaume-Uni, la production totale des EMR devrait atteindre quelques 38 000 MW, 32 000
côté anglais et 6 000 côté français, soit plus du double de la capacité actuelle de production pour la France, et près de 10 fois celle affichée actuellement au Royaume-Uni. Cependant, le
retard français s'accentue alors même que l'Angleterre se place en leader mondial de l'éolien offshore. La France n'a toujours pas implanté une seule éolienne en mer sur les
quatre sites retenus depuis 2013.
Total | 1944 |
Sites | Puissances attendues (MW) |
Saint-Brieuc | 500 |
Courseulles-sur-Mer | 450 |
Fécamp | 498 |
Le Tréport | 496 |
Cet essor à venir se double d'un énorme potentiel hydrolien. L'enjeu est énorme car la France et le Royaume-Uni détiennent à eux deux 80 % de la ressource en Europe, dont un grande partie en Manche. Les sites exploitables correspondent à des zones de très forts courants, tels que les Raz de Bréhat, Barfleur et Blanchard ou le Fromveur au large d'Ouessant. Les premiers prototypes fonctionnent.
Vents forts, houles violentes, forts courants et marées de fortes amplitudes font de l'espace Manche un enjeu énergétique majeur, tant en France qu'en Angleterre, mais aussi dans toute l'Europe du Nord-Ouest. Les opérateurs ne s'y trompent pas et multiplient les initiatives et projets. Les progrès rapides suscitent des perspectives de développements économiques pour les territoires bordant cet espace maritime. L'impact économique est également un enjeu fort de concurrence entre les territoires car les retombées en termes d'emplois sont importantes. 60 000 emplois temporaires pourraient ainsi être créés par ces grands chantiers EMR et 2 000 emplois durables pourraient permettre d'en assurer la maintenance côté français.
Enjeu environnemental, enjeu économique, les EMR sont au début de leur développement dans l'espace Manche. Les forts potentiels et atouts naturels de cette petite mer franco-britannique en font un espace d'enjeux et de concurrences entre opérateurs, alors même que cette activité prend place dans un contexte d'ores et déjà sous pression où hommes et activités tentent de cohabiter. Mais l'enjeu est à la mesure des espoirs qu'il suscite pour l'ensemble des territoires de l'Espace Manche.
Bibliographie
ADEME, "Potentiel éolien offshore du Cotentin", CR Basse-Normandie.
CESR Basse-Normandie, rapport "Les énergies marines renouvelables (EMR) : potentialités et perspectives en Basse-Normandie", rapporteur Jean-Marie Meulle, septembre 2010.
European Wind Energy Association
France Energie marine
IFREMER, "Les énergies renouvelables marines, synthèse d'une étude prospective à l'horizon 2030", 2008.
Le Marin, "Énergies marines, la nouvelle vague, dossier spécial", 26 novembre 2010,
Le Visage Christophe, "Énergies marines renouvelables et régulation des usages de la mer", 2004.
Ministère de l'Ecologie, du développement durable et de l'Énergie
Ouest-France, "Éoliennes en Basse-Normandie, les énergies du développement durable", 21 janvier 2005.
Price Waterhouse Coopers (PWC), Baromètre 2010 de l'économie maritime, Quimper, Nantes, décembre 2010.
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