Un couloir maritime mondial (2011-2012)
Frédérique Turbout
Dix minutes se sont écoulées et durant ce laps de temps, trois navires viennent de s'identifier tour à tour aux autorités de surveillance du CROSS Jobourg, au Nord de la presqu'île du Cotentin. Chaque jour, ce sont ainsi près de 430 navires qui se déclarent sortants ou entrants aux Centres Régionaux Opérationnels de Surveillance et de Sauvetage (CROSS) du Corsen, de Jobourg ou de Gris-Nez. La mer de la Manche est l'un des couloirs de circulation maritime parmi les plus importants au monde.
En moyenne, un camion traverse la Manche toutes les cinq secondes, alors qu'un navire entre ou sort de cette mer toutes les trois minutes. Cargos, porte-conteneurs, pétroliers, chimiquiers passent sans cesse au fil des heures empruntant les dispositifs de séparation du trafic (DST), autoroutes imposées, dont la première mise en place date de 1967 dans le détroit du pas de Calais. Ces routes qui n'apparaissent que sur les cartes marines, doivent obligatoirement être empruntées par les navires entrants ou sortants afin d'éviter tous risques de collision.
Voie montante, voie descendante, ces deux routes sont coupées à l'orthogonale par un intense trafic de ferries, plus de 120 rotations au quotidien, entre les ports transmanche. Au milieu de ces navires de fret et de passagers, les bateaux de pêche sillonnent la mer alors que des plaisanciers sortent leurs embarcations pour quelques heures ou quelques jours de régate, dans ce bassin de plaisance, l'un des plus importants au monde, si prisé des amateurs de voile. Au milieu de toutes ces activités, un navire extrayant des granulats travaille.
L'espace Manche, cette petite mer intérieure, cet entonnoir des courants et des vents est un passage de tout premier rang, passage obligé vers les ports belges et néerlandais du Range Nord et plus au nord encore, vers la Baltique. Animé de flux en tous sens, il est surveillé, contrôlé, veillé en permanence. L'intensité du trafic est telle que des zones d'attente accueillent les navires à l'entrée des plus grands ports des deux rives, pour fluidifier ce trafic en continu.
Ce couloir maritime mondial est un espace sensible, vulnérable, fragile qui voit se côtoyer, sur mer et à son interface avec la terre, une multitude d'activités et d'hommes, de métiers et d'enjeux différents et parfois contradictoires. Les considérer dans leur ensemble, tout en tenant compte de leurs spécificités peut permettre de mieux cerner les enjeux et changements économiques, sociaux, environnementaux et politiques de demain.
Le trafic en Manche
L'espace Manche est l'un des couloirs de circulation maritime les plus importants au monde. Le trafic qui entre en Manche poursuit sa route au-delà du détroit, une petite partie seulement de ce trafic débarque dans les différents ports de l'espace Manche.
En 2010, 333,4 millions de tonnes de fret ont transité par les différents ports de la zone et près de 33,2 millions de passagers ont voyagé grâce à l'une des compagnies ferry assurant la liaison entre les rives française et anglaise.
Le transport de fret se concentre essentiellement dans quatre ports en tête desquels le port du Havre, côté français et celui de Southampton sur l'autre rive totalisent à eux deux 33 % du trafic fret transmanche ; les disparités en terme de tonnages transportés sont importantes entre les ports et sont liées à la fois au type de marchandises transportées et aux spécialisations de ces ports. Ainsi, tous les ports ferry voient transiter annuellement entre un et quatre millions de tonnes de fret chacun, exception faite de Calais et de Douvres qui enregistrent entre 25 et 37 millions de tonnes de fret en 2010. Les marchandises transportées sont essentiellement des produits pétroliers et gaziers et plus globalement du vrac liquide. À cela s'ajoute les conteneurs (44,3 millions de tonnes) et le trafic roulier (94 millions de tonnes). Le vrac solide est dominé par les céréales et les produits agricoles arrive en 4e position.
Les ports de l'espace Manche ne sont pas seulement des ports de commerce, ils sont, et ce depuis une époque lointaine, des ports de voyageurs. 17 millions de passagers sont comptabilisés côté français et un peu plus de 16 millions côté britannique. En moyenne ce sont quelques 91 000 personnes qui quotidiennement traversent la Manche. Calais et Douvres assurent à eux seuls plus de 70 % du trafic, suivis par les liaisons Douvres-Dunkerque et Portsmouth-Caen. En moyenne, 120 rotations de ferry se succèdent au fil des heures sur les douze lignes régulières reliant les côtes du Channel. Nombre d'entre elles sont concentrées sur le détroit où la concurrence forte fait apparaître ou disparaître les compagnies au gré des aléas économiques. En Manche centrale, LD Lines s'impose peu à peu alors même que la Manche ouest reste le domaine de Brittany Ferries, présente depuis 40 ans sur cette partie de la mer.
Le Tunnel sous la Manche affiche, quant à lui, un trafic en progression, avoisinant les 9,6 millions de passagers pour près de 13 millions de tonnes de fret en 2011.
Les volumes de marchandises et d'hommes qui traversent chaque jour cet espace maritime en font une zone d'échanges et d'activités économiques de toute première importance, à proximité des grandes capitales européennes que sont Londres et Paris.
Demain, les évolutions technologiques nécessaires et imposées, l'ouverture de nouvelles routes maritimes, la concurrence mondiale accrue sont autant de facteurs susceptibles de modifier la physionomie de ce couloir maritime.