Plaisance et courses (2006)


Pascal Buléon, Louis Shurmer-Smith

Les hauteurs du cap Fréhel sont noires de monde, des milliers de personnes, serrées les unes contres les autres, debout dans le vent depuis des heures, portent leur regard vers le large. Sur la mer, des centaines d'embarcation de toutes tailles filent le même cap ; au milieu d'elles, une flottille de multicoques aux voiles multicolores. Ils sont encore groupés pour le plaisir des yeux des spectateurs, avant que les routes ne se séparent dans l'Atlantique. C'est le départ de la Route du Rhum, course transatlantique en solitaire de Saint-Malo à Pointe-à-Pitre, qui intéresse des centaines de milliers de personnes pendant son déroulement et fait venir sur les pontons et les côtes les plus passionnés d'entre eux pour admirer des merveilles de technologie marine.

 

La course en mer est la pointe médiatique, industrielle et financière de la plaisance. Celle-ci couvre un très large spectre : la voile traditionnelle, depuis les plus petits voiliers jusqu'aux voiliers de croisière les mieux équipés. L'activité de voile s'est massifiée dans le dernier tiers du XXe siècle. Le même intérêt pour la mer a drainé une autre population attirée non pas par la voile mais par la plaisance moteur, celle-ci s'est considérablement développée dans les deux dernières décennies. Dans les deux cas, un créneau très haut de gamme pour les clientèles fortunées s'est ouvert, de magnifiques yachts à voile ou à moteur aux aménagements les plus raffinés, atteignant plusieurs dizaines de millions d'euros, font l'objet d'une demande élargie.

Autour du nautisme et de la plaisance, tout un secteur d'activité s'est structuré, il inclut la conception et la fabrication de bateaux, depuis des petits en résine de quelques mètres jusqu'à de grands yachts de 40 mètres, le travail sur des matériaux high-tech, la conception et la fabrication de mât, de voile, d'accastillage, la construction et la gestion de marinas...

Toute cette activité est fortement présente sur les deux rives de la Manche. Celle-ci est un des bassins de plaisance parmi les plus importants au monde. Elle a, pour elle, l'antériorité : une longue et grande histoire maritime sur laquelle se sont adossées et appuyées la naissance et le développement de la plaisance. Les racines de cette histoire, ce sont les dizaines de ports, petits et grands, où des générations d'hommes ont côtoyé la mer et ses dangers pour gagner leur vie. La configuration géographique de mer étroite et les centaines de rias, d'abris, de débouchés de fleuves, ont facilité le mouillage de bateaux. À ce terreau et cette configuration, s'est ajoutée la proximité de concentrations de population, réservoir de pratiquants de plus en plus nombreux.

Les tout premiers yacht-clubs anglais et français ont été créés sur ces rivages, le Royal Yacht Squadron à Cowes en 1815, l'autre, la Société des Régates au Havre en 1838. Le 10 août 1826, sept yachts participent à une course à Cowes, cela n'a pas cessé depuis et le Cowes Week est aujourd'hui un rendez-vous mondial où s'affrontent 1 000 yachts de classes différentes. C'est également au départ de Cowes qu'en 1925 fut lancée une course de 605 milles, la Fastnet Race, qui arrive à Plymouth en passant par le phare de Fastnet Rock en Irlande.

Plus de 10 grandes courses, aujourd'hui, empruntent la Manche : la Solitaire Le Figaro, la Fastnet Race, l'Admiral's Cup, la Tall Ships, la Route du Rhum, la Transat Jacques Vabre, la Transat Québec – Saint-Malo, le Tour de France à la Voile, les grandes transocéaniques : le trophée Jules Verne, la Volvo Ocean Race, ancienne Whitbread.

À côté de ces événements, des milliers de navigateurs écument le Solent ou le golfe normand-breton, font du port à port le long de la côte anglaise, de la côte française, et traversent la Manche, surtout d'Angleterre vers la France, vont et viennent vers les îles Anglo-Normandes.

Cette activité croissante a fait naître des ports de plaisance en grand nombre. On en dénombre 161 sur les deux littoraux, 96 en France, 57 en Angleterre et 8 aux Anglo-Normandes. De tailles très différentes, depuis les 95 places du Tréport ou de Lesconil aux 1 100 du Havre, 1 200 de Saint-Malo et 1 300 de Cherbourg ou en Angleterre des 80 places de Brixham ou Torpoint aux 900 de Port Solent Portsmouth, 1 300 de Brighton, 2 000 de Salcombe, 3 500 de Dartmouth… et 9 000 de Chichester. Un très grand nombre de ports auxquels il faut ajouter les centaines de mouillages non gérés.

Cette capacité ne permet pourtant pas de répondre à la très forte demande, la plupart de ces ports ont de très longues listes d'attente, dont les délais s'élèvent souvent à plusieurs années. De nombreux projets existent pour la création de nouveaux ports de plaisance. La nécessité de préserver l'environnement, la coexistence avec les autres activités sur le littoral et sur l'étroite bande de mer, rendent les choses compliquées. Malgré ces complications, les prochaines décennies vont voir naître de nouvelles installations de plaisance.

L'activité industrielle est particulièrement concentrée dans le Solent, côté anglais. De très nombreux chantiers de tailles différentes depuis les bateaux bois jusqu'aux grands yachts extrêmement luxueux s'égrènent tout au long des trente marinas ou au bord des rias. Le plus grand constructeur mondial de yachts à moteur est à Poole Harbour... et le chantier de voiliers de prestige Camper and Nicholson Yachting Yard à Gosport ouvert en 1782, est toujours là. En France, aux côtés d'une activité de fond de construction et d'entretien courants, quelques points se détachent : la côte nord de la Bretagne où presque chaque port et ria a ses ateliers et chantiers, Port-la-Forêt, site technologique de la course au large et base de grands skippers, Cherbourg et Caen en Normandie où mâts et voiles high-tech sont produits, où des chantiers sortent des yachts de luxe et où une base de préparation des voiliers pour les grandes courses voit venir Ellen MacArthur, Christophe Auguin… et bien d'autres. L'expansion de la plaisance ouvre la possibilité aux entreprises des rives de la Manche de faire valoir, non seulement vers l'Europe du Nord mais à l'échelle internationale, leur ancienneté comme leurs développements technologiques les plus récents.

La plaisance et plus largement l'industrie et la filière nautique, déjà très présentes dans l'espace Manche, vont continuer de s'y affirmer sous toutes leurs formes, les grandes courses, la technologie... comme la sortie en mer du dimanche.

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