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Atlas Transmanche

Organisation urbaine


Pascal Buléon, Louis Shurmer-Smith

 

L'espace Transmanche, très inégalement urbanisé, voit s'opposer aussi bien le Nord au Sud que l'Est à l'Ouest. La partie anglaise comporte un plus grand nombre de citadins en valeur absolue et relative. Plus nombreuses et rapprochées, les agglomérations regroupent davantage de population que les villes françaises. Simultanément, la prééminence de Londres et de la nébuleuse résidentielle et touristique du littoral sud, côté anglais, et l'attraction de Paris conjuguée à celle des agglomérations du Nord-Pas-de-Calais expliquent que, côté français, l'emprise urbaine s'amenuise progressivement vers l'ouest.

Les traits de parenté sont cependant incontestables du fait des nombreuses agglomérations littorales : ports de marchandises, de voyageurs, de pêche ou de guerre, centres de villégiature – les uns et les autres ont souvent leur double d'un rivage à l'autre, au point qu'on se surprend à leur trouver un air de famille.

Surtout, d'un côté comme de l'autre, l'armature urbaine est dominée par les deux capitales, seules villes mondiales du continent dont la taille, le poids économique, les fonctions et le rayonnement international sont sans commune mesure avec ceux des autres villes. L'étendue du bassin d'emploi qui déborde leur région administrative, la masse des actifs, la diversité du marché du travail et l'intensité des migrations alternantes de ces deux mégapoles en font les pivots de l'espace Manche. L'une et l'autre ont un solde migratoire positif pour les étudiants de second cycle et les primo-accédants à l'emploi mais négatif pour les familles en raison des coûts fonciers et immobiliers. Toutes deux sont des places aéroportuaires d'importance planétaire et ont des effets structurants de premier ordre par la convergence d'axes de communication majeurs, par leurs fonctions de commandement publiques et privées, par leur intense étalement périurbain, par leurs projections balnéaires respectives et par leurs auréoles de résidences secondaires. Leurs relations mutuelles s'intensifient à mesure que la distance-temps les rapproche.

 

 

Le voisinage de ces deux « mégarégions urbaines » est cependant distinct. Londres présente la particularité d'être insérée dans la mégalopole – la fameuse « banane bleue » – et, par conséquent, entourée à courte et moyenne distances d'une myriade de villes proches les unes les autres, réseau urbain qu'on ne retrouve que dans l'extrême nord français, lui-même partie prenante de la dorsale comme l'attestent ses conurbations (Lille-Roubaix-Tourcoing, Douai-Lens…) conformes au « modèle rhénan ». Le « modèle parisien » d'organisation de l'espace tend au contraire à rejeter à distance les autres pôles urbains. Le programme de recherche Polynet développé dans le cadre de l'Interreg B Europe du Nord-Ouest a confirmé l'opposition existant entre un grand sud-est anglais polycentrique et une région parisienne monocentrique à partir de la cartographie de différents flux (migrations alternantes, téléphone, courriel…). On observe une si forte interférence des zones d'emploi, côté britannique, qu'on peut considérer que la moitié orientale tend à y former un seul marché du travail préfigurant peut-être une zone d'emploi unifiée. Il n'existe rien de tel côté français en raison de la convergence massive des flux vers le pôle parisien, certes de plus en plus divisé en sous-bassins d'emploi, mais globalement unipolaire à l'échelle de l'espace considéré. Les bassins d'emploi de province conservent donc leur autonomie.

La division du travail entre strates urbaines diffère également. Autant Paris continue d'absorber les activités de pointe et la conception, autant le Bassin de Londres comporte des centres d'innovation et de recherche localisés dans des villes intermédiaires, moyennes et même petites. La corrélation entre qualification du travail et taille de la ville ne s'y observe donc pas au même titre qu'en France.

Les nombreuses localités du grand sud-est sont non seulement le produit de l'industrialisation et de l'urbanisation précoces du royaume, mais aussi le résultat d'un desserrement ancien, à la fois spontané et planifié. Lancé par les cités-jardins, officialisé par la création de la ceinture verte et des villes nouvelles et Expanded Towns, ce mouvement d'exurbanisation s'est poursuivi par une intense périurbanisation qui a évolué en désurbanisation, la population du Grand Londres ayant diminué au profit de sa grande périphérie. Ce processus a été accentué par un goût marqué pour la maison individuelle qui explique l'étalement résidentiel lointain jusque dans les rares communes encore rurales. La capitale française ne s'est pas autant étalée dans le Bassin Parisien, l'implantation des villes nouvelles en continuité du tissu existant et l'absence de ceinture verte ayant en-couragé l'extension des banlieues en tâche d'huile.

La plupart des agglomérations anglaises d'une certaine importance ont leur ceinture verte et voient la population de leur ville-centre diminuer du fait d'une exurbanisation de plus en plus lointaine qui contribue à souder et superposer les zones d'emploi. En France, les villes ont connu une périurbanisation plus tardive et aucune d'entre elles n'a enregistré de baisse suffisamment marquée de sa population pour parler de désurbanisation. Seules quelques villes industrielles et portuaires y enregistrent des évolutions démographiques médiocres, parfois négatives.

Les évolutions des cycles d'urbanisation, leurs modalités régionales en France et en Grande-Bretagne ont été bien étudiées. On sait donc, et cela n'a rien de surprenant, que les différences historiques et culturelles ont marqué les organisations urbaines, il en est ainsi de la polarisation sociale, du logement social et privé. Beaucoup de modèles ont livré une interprétation où la différence sociale et le mode de vie s'expriment selon un gradient centre-ville – périphérie, fondé sur le revenu et la classe sociale ; les couches les plus marginales étant concentrées dans les centres en Angleterre et plus rejetées aux périphéries en France. La réalité aujourd'hui est souvent très différente. Un réinvestissement des centres-villes est très lisible en Angleterre. Leur déclin avait ouvert la possibilité d'opérations très rentables, leur temps est arrivé, et anciens entrepôts et docks connaissent des processus de changement social et de gentrification. Promouvoir l'image des centres-villes est devenu un enjeu urbain de premier rang.

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