Des littoraux sous forte pression
Pascal Buléon, Louis Shurmer-Smith
Lorsque Octavia Hill, Canon Hardwicke Rawnsley et Sir Robert Hunter fondèrent le National Trusten 1895, ils n'imaginaient pas, qu'à peine un siècle plus tard, leur société de bienfaisance serait devenue la plus importante organisation de protection de la nature en Europe, forte de 3,5 millions de membres et gérant plus de 1 000 kilomètres de côtes. La préservation du littoral ne figurait pourtant pas dans les buts initiaux de la société, cela ne vint que bien plus tard, en 1965, avec le lancement de « l'opération Neptune ». Celle-ci faisait suite à des recherches qui avaient mis en évidence qu'un tiers du littoral était déjà urbanisé, un tiers jugé sans intérêt paysager particulier et le dernier tiers considéré d'intérêt majeur. C'est ce dernier tiers représentant 1 500 kilomètres de côtes qui apparaissait menacé par la pression touristique. Au siècle précédent, sur les côtes du Kent et du Sussex, les lieux de villégiature victoriens avaient déjà commencé de s'étendre. La conurbation de Brighton, avec cinq kilomètres de front de mer urbanisé, avant même l'arrivée du train en 1841, s'étirait sur plus de treize kilomètres à la fin du XIXe. Si les interventions du National Trust ont été moindres sur la côte sud-est, plus sous influence urbaine, la tournure des événements a été différente dans le sud-ouest où le Trust possède maintenant près du tiers des côtes du Devon et de la Cornouailles.
Organisme totalement indépendant du gouvernement, disposant d'un droit inaliénable sur son foncier, le National Trust n'a pas d'équivalent en Europe. En France, l'ordonnance de Colbert de 1681, définissant le caractère inaliénable du domaine public maritime, peut être considérée comme la première marque d'une volonté d'État d'empêcher sur le littoral tout développement indésirable. Il faudra plus de deux siècles pour qu'une protection de l'environnement littoral, par touches successives et disparates, se mette en place.
Les différentes mesures sur les réserves naturelles, les parcs nationaux ou régionaux, les écosystèmes fragiles, etc., des années 1950 et 1960 intégraient le littoral sans le cibler particulièrement. Ce n'est qu'en 1973, avec la publication du rapport Picard, qu'une approche globale commença de se faire jour pour s'opposer à ce qui était décrit comme le « massacre du littoral ». En dénonçant la mono activité touristique comme seule perspective pour le littoral, le rapport final faisait également ressortir le besoin de délimiter ce qu'il fallait considérer comme littoral, tant en mer qu'à l'intérieur des terres. La plus importante des décisions qui ont suivi, a été la mise en place du Conservatoire du littoral en 1975. Établissement public, celui-ci achète des terrains fragiles ou menacés et en confie la gestion aux collectivités. Il assure en 2007 la protection de 113 000 hectares sur 400 sites naturels représentant 900 kilomètres de rivages, soit 20 % du littoral français. Il acquiert 2 000 à 3 000 hectares par an. La « loi littoral », adoptée en 1986, joue un rôle essentiel dans le dispositif de protection, elle est pour cette raison régulièrement l'objet de tentatives de remises en cause.
La gestion du littoral doit constamment intégrer le poids de l'héritage du développement. Les littoraux français et anglais, ainsi d'ailleurs que la mer qui les sépare, sont sous une pression constante. Certains sites aux paysages remarquables ou niches écologiques fragiles sont protégés, dans le même temps que d'autres points du littoral sont choisis pour l'implantation d'installations telles que les centrales nucléaires, en raison de l'utilisation facilitée de l'eau. Ce n'est pas sans créer d'opposition. Dans les principaux estuaires, les activités portuaires et industrielles s'étendent, en même temps que se multiplient les ports et mouillages pour la pêche et surtout la plaisance. Les complexes touristiques de diverses natures ont poussé comme des champignons le long des côtes. Le développement des résidences secondaires et l'arrivée de plus en plus nombreuse de retraités ont nourri une urbanisation croissante du littoral.
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