La Manche et la coopération intercommunale (1996)


Gael Louesdon

Cherchant à réduire le nombre des divisions administratives du territoire, les autorités françaises ont depuis longtemps, créé de multiples formes juridiques de regroupement des communes. Depuis le Syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU) jusqu'à la Communauté de communes et de villes, nombreuses sont aujourd'hui les possibilités de regroupement.

Le principe de la coopération intercommunale repose sur le transfert de compétences des communes, vers le groupement de communes dont elles font partie. Ces transferts se sont limités dans un premier temps, au traitement des aspects techniques de la gestion et de l'aménagement du territoire (par exemple : création des réseaux d'eau et d'électricité). Dans un second temps, particulièrement depuis la loi du 6 février 1992, s'est opéré un élargissement des compétences transmises, vers les secteurs économique, social, culturel, etc. Les groupements de communes ont ainsi constitué peu à peu, la première échelle d'action pour le développement économique local, exerçant actuellement la plupart des prérogatives municipales : aménagement de l'espace (création de zones d'activités, aménagement de la voirie...), animation socioculturelle (création de salles de sport intercommunales, aménagement de chemins de randonnée, nettoyage des rivières...), maintien de services publics en milieu rural (transport scolaire, construction de collèges...).

Les groupements de communes assument donc un nombre croissant de tâches, dont la gestion est parfois lourde et nécessite des moyens financiers. C'est pourquoi le législateur a ouvert, pour les groupements de communes issus de la loi de 1992, la possibilité de lever l'impôt à la place des communes membres. Ces structures sont dites à "fiscalité propre".

Sommes-nous en train d'assister à la disparition de la commune comme premier échelon territorial d'action en matière de développement local ? L'analyse de la géographie de la coopération intercommunale en France, plus précisément l'exemple de la Manche, ne confirme qu'en partie cette conclusion.

Au niveau national, les maires ont largement utilisé la communauté de communes comme support de coopération intercommunale. De 1992 à 1995, 1 169 communautés de communes ont été créées, regroupant 12 743 communes (environ un tiers des communes françaises) et 20 308 914 habitants - 46 communautés de villes regroupant 511 communes et 2 488 740 habitants.

La Basse-Normandie ne fait pas partie des régions les plus dynamiques en matière de constitution de groupement de communes, du fait essentiellement, de la quasi-absence de structures intercommunales dans le Calvados. Seulement, 53 % de ses habitants vivent dans des communes participants à des structures intercommunales alors qu'en Bretagne-Pays-de-la-Loire ce taux atteint 70 %...

La Manche est le département bas-normand le plus engagé dans cette voie (comme l'Ille-et-Vilaine ou le Pas-de-Calais), ce qui le distingue de ses voisins. Ce n'est pas une surprise, tant sa sensibilité à la question du regroupement de communes est ancienne. C'est effectivement le seul département... de France qui, au moment des fusions de communes lancées en 1971, a créé une commune-canton autour d'Isigny-le-Buat.

Plus récemment, sur les 603 communes du département, 493 font partie d'un district ou d'une communauté de communes (soit 81 % des communes du département). 80,6 % de la population habite une commune membre d'un district (19 % de la population du département), d'une communauté de communes (61,6 %) ou de la communauté urbaine de Cherbourg (19 %). Malgré ce taux élevé de population intercommunalisée, des communes refusent l'engagement dans la coopération, restent isolées, cernées par de multiples communautés de communes ou districts. Une large zone au centre du nord-cotentin n'est pas concernée par ces structures bien qu'une population importante y réside. La réaction, pourtant classique, de constitution de groupement par peur et en réponse à l'agglomération de communes économiquement riches cCommunauté urbaine de Cherbourg, districts de La Hague et des Pieux), n'a pas eu lieu.

La création des Communautés de communes (CDC) a eu pour effet de simplifier le paysage intercommunal manchois, les structures de la loi de 1992 absorbant les structures plus anciennes, notamment par le jeu des compétences obligatoires, que doivent exercer ces structures. Le nombre des superpositions de structures de coopération a pu ainsi diminuer, rendant un peu plus lisible le paysage administratif départemental.

Les CDC de la Manche sont généralement constituées sur la base du canton. Cette maille du territoire, simple division administrative électorale, trouve ainsi un nouveau souffle, remettant le conseiller général sur le devant de la scène politico-économique locale. Celui-ci a saisi l'opportunité d'un renforcement de sa légitimité démocratique et d'un ancrage supérieur dans l'action économique locale, en enfermant la communauté de communes dans les limites de son territoire électoral. Est-ce pour autant une échelle pertinente en matière d'aménagement et de développement économique du territoire ? C'est une question qui se pose actuellement au niveau national et européen.

La Manche, comme ses voisins du Calvados et de l'Orne, a très peu de structures transfrontalières de coopération. Seuls quelques groupements de communes, à visées techniques (gestion des ordures ménagères, électricité, transport scolaire), culturelles ou touristiques (par exemple, les syndicats mixtes des marais du Cotentin et du Bessin et celui du Parc Régional Normandie Maine), franchissent les limites départementales ou régionales. Pourtant au niveau local, il est probable que des affinités historiques, culturelles, ou autres, pourraient mener à la coopération entre communes voisines, bien que de départements ou de régions différentes.

La Manche est donc simultanément précurseur et conservatrice en matière de regroupement intercommunal : précurseur par la précocité de l'engagement dans le regroupement de communes et l'importance du nombre des communes qui pratique la coopération intercommunale, conservateur par l'enfermement de cette pratique à l'intérieure du cadre du canton qui semble parfois étriqué, à bien des égards...

(Novembre 1996)

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