Projection sur la population en 2015
Frédérique Turbout
Le retournement démographique n'est plus une lointaine perspective, il se pose aujourd'hui comme une question d'actualité. Le retournement démographique se manifeste par un vieillissement de la population dans des pays ayant achevé leur transition démographique.
Le problème du vieillissement des structures démographiques est une question déjà ancienne, soulevée à plusieurs reprises par les démographes sans pour autant qu'il y ait une réelle prise de conscience des pouvoirs publics.
Cette modification des structures démographiques est due à la combinaison de plusieurs facteurs :
- Une baisse du taux de fécondité qui ne permet plus le renouvellement des générations c'est-à-dire au moins autant d'individus que dans les générations précédentes : en France, le taux de fécondité se situe à 1,90 enfants par femmes en 2001 contre 2,59 dans les années 1960. En Europe, le taux est à 1,47 or le seuil de renouvellement des générations se situe à 2,1 enfants par femme en âge de procréer, les générations ne sont donc plus renouvelées et ce depuis près de 20 ans.
- Une amélioration de la longévité et une baisse de la mortalité. On vit de plus en plus vieux et en bonne santé. La durée moyenne de vie s'est ainsi allongée de près de 10 ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, bénéficiant avant tout aux femmes, la France détenant un record dans ce domaine.
- Àcela s'ajoute un facteur aggravant qui amplifie le phénomène structurel : l'arrivée des enfants du baby-boom à l'âge de la retraite dans les dix prochaines années. Au pic de natalité, puis d'actifs succède inévitablement un pic d'entrants en inactivité.
Ce vieillissement de la population est d'ores et déjà entamé dans de nombreux pays européens. L'Europe compte aujourd'hui quelques 62 millions de personnes âgées de plus de 65 ans, soit plus que la population totale française estimée en 2003. Ces personnes âgées représentent 16 % de la population totale européenne et elles vont augmenter de près de 22 % dans les 15 ans à venir. En fait, ce sont essentiellement les personnes très âgées qui vont connaître une forte croissance puisque leur nombre va doubler en quinze ans, du fait de l'amélioration des conditions de vie aux grands âges et de meilleure gestion de la dépendance.
Cette évolution démographique affecte la majeure partie de pays européens et la France n'échappe pas à la règle. Les prévisions à long terme d'Eurostat concernant la proportion de personnes âgées présente dans chaque pays européen à l'horizon 2015 désignent les pays méditerranéens comme grands gagnants de la course au vieillissement. Italie, Grèce et Espagne arriveront en tête. Mais les autres pays européens ne seront pas épargnés. En France, la situation va également s'accentuer et déjà aujourd'hui, les résultats du recensement de la population témoignent d'un vieillissement en marche.
En France, la fin des bastions des naissances
Alors qu'au recensement de 1990, le pays avait conservé des bastions de la natalité dans les régions du nord-nord-ouest français, en 1999, ces bastions ont disparu. Les taux de natalité ont chuté et ont rejoint les résultats affichés dans les autres régions. Le vieillissement de la population concerne aujourd'hui toutes les régions françaises à des degrés plus ou moins avancés.
Si on assiste malgré tout à quelques signes de reprise de la natalité, il ne faut pas s'y méprendre, le phénomène de vieillissement de la population est bel et bien entamé et les hausses de la natalité et de la fécondité ne réduiront pas le nombre des personnes âgées qui vont arriver à la retraite dans les dix prochaines années, seule leur part dans le total de la population s'abaissera de quelques points. Les effets de ce petit « baby-boom », tel que le qualifie l'INSEE sont loin d'atteindre l'ampleur du phénomène analogue qu'a connu l'hexagone au lendemain de la Libération et ses effets ne seront visibles que dans une génération, lorsque ces classes d'âges deviendront actives.
L'accentuation du vieillissement que l'on connaît aujourd'hui est visible dans toutes les régions françaises qui ont enregistrées depuis 20 ans, une hausse de leurs proportions de personnes âgées de plus de 60 ans. La France comptait au dernier recensement de 1999, 21,3 % de personnes âgées soit quelques 12 478 127 individus.
Alors qu'au recensement de 1982, dans les régions du Grand Ouest français, seuls les départements du Finistère, des Côtes-d'Armor, du Morbihan, de la Manche et de l'Orne dépassaient les 18 %, en 1990, seuls les départements du Nord, de l'Oise et de l'Eure se sont maintenus en deçà de 18 %. La part des personnes âgées s'est accentuée partout, Côtes-d'Armor, Finistère et Orne arrivant aux premières places.
Au dernier RGP de 1999, le phénomène a pris de l'ampleur. Il ne reste plus qu'un seul département dont la part des personnes âgées est inférieure à 18 %, l'Oise, qui bénéficie de la proximité de la métropole parisienne lui assurant des installations de jeunes couples avec enfants. Ailleurs la situation s'est encore accentuée, particulièrement en Bretagne et en Basse-Normandie.
Les mutations profondes à venir du vieillissement sont loin d'être négligeables. Elles concernent toutes les sphères de la société. D'un point de vue démographique, en premier lieu, elles se traduisent par des mutations profondes des structures démographiques et ceci à toutes les échelles. Les rapports entre poids des jeunes et poids des personnes âgées sont bouleversés au sein des populations.
Les conséquences sont également sociales et culturelles. Le vieillissement de nos sociétés passe par une réelle prise de conscience de cette évolution, une acceptation du vieillissement et de la vieillesse en général et suppose un changement du regard porté sur les personnes âgées. Les mutations en cours sont également culturelles et politiques. Elles se traduisent de diverses manières : développement du réseau associatif, valorisation du patrimoine historique, culturel et environnemental, aide sociale sous diverses formes, entre autre chose. Les personnes de plus de 60 ans d'aujourd'hui ne sont plus celles de la génération précédente, elles ont une forme physique, des pratiques sociales qui en font des actifs dans la société sans contraintes professionnelles. Les aspects plus négatifs se manifestent dans le grand âge, passé 75 à 80 ans, avec les phénomènes de dépendance.
Le vieillissement a plusieurs aspects, certains sont loin d'être négatifs, d'autres pèsent sur l'ensemble du corps social. Économiquement, le vieillissement de la population est un enjeu majeur tant dans la gestion des besoins que dans les changements socio-économiques que l'on observe d'ores et déjà. Le vieillissement de la population se traduit également par une baisse de la population active, et des difficultés à pourvoir certains emplois dans différents secteurs d'activité. Il existe un indicateur, fonctionnant sur le même mode que l'indice de vieillissement, qui permet de rendre compte de l'impact du vieillissement sur la population active. Appelé "indice de dépendance", il rend compte du rapport entre population âgée et population active.
En Europe, cet indice de dépendance atteint 24,3, celui de la France se monte à 24,6, soit très proche de l'indice européen. À l'échelle des régions et des départements, cet indice est souvent accentué. En Basse-Normandie, il est de 27,8, 22,7 dans le Calvados, 31,2 dans la Manche et 31,5 dans l'Orne. Cette baisse de la population active est un enjeu majeur des régions et des départements, car de son maintien à un niveau suffisant, dépendra la vigueur économique d'une région. Cependant, il ne faut pas négliger le fait que le vieillissement offre également des atouts en termes économiques. Les personnes âgées restent des consommateurs, même si leurs besoins évoluent en fonction de leur âge et de leur degré de dépendance. Le besoin en services et en soins est plus pressant à mesure que l'individu devient dépendant. Ces services et besoins à satisfaire sont créateurs d'emplois. Les nouveaux emplois qui peuvent être amenés à se développer peuvent contribuer à relancer le tissu économique de certains espaces en difficulté, tout en rajeunissant les structures démographiques par l'arrivée de classes d'âges plus jeunes. De même, le besoin en structures d'accueil ou le maintien à domicile quand survient la dépendance sont également susceptibles de créer des emplois.
Ces quelques exemples énoncés précédemment témoignent de l'importance de considérer le retournement démographique comme une mutation profonde de nos sociétés, dont les enjeux et les éventuelles conséquences à plus ou moins longs termes sont à considérer dès à présent.
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