Projections de population
Cécile Hemez
Nombre de décisions d'aménagement du territoire sont motivées par des considérations d'ordre démographique. Qu'il s'agisse d'ouvrir une école, de fermer un hôpital, de construire une autoroute, les mouvements de la population, tant en volume qu'en structure, ont un impact déterminant. Les décideurs locaux sont par conséquent, très demandeurs d'un éclairage sur l'évolution future de la population.
Les projections de population offrent cet éclairage. À partir d'évolutions observées dans le passé et d'hypothèses posées pour l'avenir, elles permettent de calculer le nombre d'habitants d'une année donnée ainsi que sa répartition par sexe, âge, voire par rapport à d'autres critères, tels que l'activité ou la scolarisation. Une projection n'est cependant que le reflet des hypothèses qui la sous-tendent. N'importe quel scénario d'évolution de fécondité, de mortalité ou de migration peut être projeté. Il ne s'agit en fait que d'un calcul. La difficulté des projections tient dans l'énoncé d'hypothèses pertinentes, pertinentes n'étant pas forcément synonyme de probables.
En France, l'INSEE propose maintenant quatre hypothèses de projection standard. La première prolonge les tendances observée sur la période 1975-1990 et sert de référence pour l'ensemble des autres projections. La deuxième maintient les évolutions de fécondité et de mortalité passées mais annule les migrations. Elle permet d'isoler l'effet du mouvement naturel (c'est-à-dire de la natalité et de la mortalité) sur l'évolution de la population. La troisième simule une forte augmentation de la fécondité (2,1 enfants par femme en 2015), tandis que la quatrième simule une forte baisse (1,5 enfants par femme en 2015). Ces deux dernières hypothèses permettent de « borner » les projections, les seuils de 1,5 et 2,1 enfants par femme étant considérés comme un minimum et un maximum. Aucune de ces hypothèses n'est vraisemblable. Elles sont purement théoriques et dans leur simplicité qui tient de la caricature, elles permettent de cadrer l'évolution future. En aucun cas, les projections issues de ces hypothèses ne doivent s'interpréter comme des prévisions.
Les projections de population effectuées par l'INSEE en 1970 pour la préparation du VIe plan, illustrent de façon inattendue l'enjeu des hypothèses choisies. Ces projections couvrent la période 1968-2000 et simulent deux scénarios qui diffèrent par l'évolution de la fécondité. Comparé aux niveaux de population qui ont été observés par la suite, un des scénarios apparaît remarquablement juste.
Année | Projection à "fécondité haute" | Projection à "fécondité basse" | Population observée |
1968 | 49 723 | 49 723 | 49 723 |
1970 | 50 328 | 50 319 | 50 528 |
1975 | 52 118 | 51 906 | 52 592 |
1980 | 54 243 | 53 573 | 53 731 |
1985 | 56 509 | 55 143 | 55 157 |
1990 | 58 769 | 56 560 | 56 615 |
1995 | 61 011 | 57 907 | 58 020 (p) |
2000 | 63 389 | 59 244 |
Pourtant, les hypothèses de projections sont fort éloignées de ce qui a pu être observé. À l'inverse du nombre d'habitants, le nombre de naissances et le nombre de décès projetés sont d'ailleurs fort éloignés des observations.
Année | Projection à "fécondité haute" | Projection à "fécondité basse" | Population observée |
1950 | 856,1 | ||
1955 | 802,3 | ||
1960 | 816,3 | ||
1965 | 862,3 | ||
1970 | 865 | 846 | 847,8 |
1975 | 955 | 883 | 745,1 |
1980 | 1 008 | 885 | 800,4 |
1985 | 1 029 | 865 | 768,4 |
1990 | 1 037 | 861 | 762,4 |
1995 | 1 063 | 866 | 729 (p) |
2000 | 1 115 | 878 |
Année | Projection à "fécondité haute" | Projection à "fécondité basse" | Population observée |
1950 | 530,3 | ||
1955 | 522,7 | ||
1960 | 517,4 | ||
1965 | 540,3 | ||
1970 | 541 | 541 | 539,7 |
1975 | 551 | 550 | 560,4 |
1980 | 561 | 559 | 547,1 |
1985 | 572 | 569 | 552,5 |
1990 | 588 | 588 | 526,2 |
1995 | 602 | 609 | 529 (p) |
2000 | 618 | 614 |
Les hypothèses de projections supposent en effet, l'absence de mouvement migratoire et sont basées sur une extrapolation tendancielle du mouvement naturel observé, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'hypothèse de mortalité prévoit que l'espérance de vie à la naissance atteindra en l'an 2000, 73,2 ans pour les hommes et 77,9 ans pour les femmes. En fait, le niveau d'espérance de vie a augmenté plus rapidement que prévu et surtout, l'écart entre hommes et femmes s'est accentué. En 1990, l'espérance de vie des hommes était de 72,8 ans et celle des femmes de 81 ans. Pour la fécondité, deux hypothèses sont évaluées. La première, qualifiée de « fécondité constante », prévoit qu'en 1976, le niveau de 2,4 enfants par mariage enregistré durant la période 1957-1961 (c'est-à-dire en plein baby-boom) sera de nouveau atteint. La seconde, qualifiée de « fécondité basse », prend en compte la tendance récente à la baisse de la fécondité et anticipe seulement un seuil de 2 enfants par mariage enregistré en 1985. Puisque la fécondité n'est ici envisagée que dans le cadre du mariage, cette projection fait aussi l'hypothèse du maintien du régime de nuptialité observé entre 1960 et 1965. Au vu de l'évolution observée depuis, ces hypothèses font sourire. Outre qu'elles surestiment la fécondité, elles n'anticipent absolument pas le phénomène marquant des deux dernières décennies qu'est la baisse de la nuptialité accompagnée d'une proportion croissante de naissances hors-mariage.
Compte tenu de l'hypothèse de fécondité, la population projetée pour 1990 devrait être très inférieure à la population recensée. L'écart est finalement compensé par les décès qui ont été surestimés par la projection, et surtout, par l'apport migratoire qui n'avait pas du tout été pris en compte.
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