La mise en place des systèmes actuels de protection de la nature


Jean-François Beaudrier, Samuel Lefevre

Les particularités législatives de la France et de l'Angleterre en matière de protection de la nature relèvent de conditions politiques et sociales très différentes.

Alors que la population britannique a très tôt perçu l'importance de sauvegarder sa campagne, largement dénaturalisée, à des fins de loisirs pour ses citadins autant qu'à des fins de protection du milieu, la France ne s'est que tardivement souciée de protéger un environnement moins uniformément anthropique, et a laissé cette tâche au secteur public.

L'organisation administrative britannique progressive

C'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que les premières lois en faveur de la protection de la nature virent le jour en Grande-Bretagne : en 1947, le Town and Country Planning Act (loi sur l'aménagement du territoire) et en 1949, le National Parks and Access to the Countryside Act (loi sur les parcs nationaux et l'accès à la campagne). En 1948, fut institué le Nature Conservancy (Conservatoire de la nature), première institution de protection de la nature, anciennement dénommé la Tansley Committee qui était chargée de faire le point sur la situation et recommander des actions pour les zones et la vie sauvages.

La mise en place du système

Le Nature Conservancy a connu plusieurs remaniements avant d'acquérir son statut actuel d'institution de poids dans le système de protection de la nature britannique.

Bien que le travail du Nature Conservancy, indépendant de l'État, fut principalement et initialement axé sur la recherche, et malgré le peu de ressources, financières et humaines de nombreux arrangements et négociations avec les différentes parties concernées, publique ou privé, ont permis l'établissement de réserves naturelles et de nombreux Areas of Special Scientific Interest (ASSI, Secteurs d'intérêt scientifique spécial).

Les faibles moyens des organismes associés à une répartition des tâches incohérente entre les acteurs, notamment entre la National Parks Commission, limitée aux parcs nationaux et aux grands espaces, et le Nature Conservancy, confiné aux réserves naturelles et aux ASSI, ont montré qu'il fallait organiser et consolider l'appareil législatif naissant.

La redéfinition des rôles

De 1965 à 1973, le Nature Conservancy devint un des comités constitutifs du Natural Environment Research Council (NERC - Conseil de recherche sur l'environnement naturel), et en 1968, la Countryside Commission (Commission à la campagne) remplaça la National Parks Commission dont le rôle fut étendu à la campagne dans son ensemble.

En 1973, le Nature Conservancy Council (NCC), de nouveau indépendant, développa ses publications suscitant l'intérêt de la presse et du public. Le secteur de recherche fut confié au NERC, renommé en 1974, Institute of Terrestrial Ecology.

À partir de 1974, le pouvoir d'administration des parcs nationaux fut transféré des autorités locales vers des services de parcs nationaux, dotés du pouvoir de rassembler des fonds, d'administrer et de nommer des officiers permanents des parcs nationaux et du personnel pour produire des plans particuliers de parcs nationaux. Enfin, en 1975, la loi sur la conservation des créatures et plantes sauvages assura une meilleure protection pour certaines espèces végétales et animales.

La création de plus de 200 réserves naturelles et de plus de 5 000 Sites of Special Scientific Interest (SSSI) par le NCC démontra l'avantage pour lui à être responsable d'un puissant département du gouvernement. En 1981, le NCC fut doté de nouvelles ressources financières et d'un conseil d'administration compétent.

L'accroissement des pouvoirs du NCC eut un effet pervers. En Écosse et au Pays de Galles, de nombreux secteurs appropriés pour la conservation de la nature sont situés sur des domaines privés. Certains propriétaires terriens firent part de leurs objections, le pouvoir donné au NCC aboutissant parfois à des situations perçues comme dictatoriales. L'opposition se faisait d'autant plus ressentir que les propriétaires souhaitaient naturellement se prononcer sur l'utilisation et la gestion des écosystèmes qu'ils connaissaient parfaitement. En juillet 1989, le NCC fut divisé en trois conseils séparés sans avoir consulté les principaux intéressés, ce qui suscita une longue polémique.

Suite à celle-ci, une base législative identique fut adoptée, pour des raisons scientifiques et surtout internationales, de nombreuses conventions ayant été précédemment signées au nom du Royaume-Uni. En 1990, la loi sur la protection de l'environnement provoqua la création de 6 nouveaux organismes. L'Irlande du Nord, le Pays de Galles et l'Écosse furent dotés chacun d'un organisme propre prenant en charge la protection de leur patrimoine. Deux organismes furent institués pour l'Angleterre, la Countryside Commission pour la conservation des paysages et leur accès au public, et le successeur du NCC, le Nature Conservation Council for England, renommé English Nature, pour la protection de la nature, le Joint Nature Coordination Committee étant chargé de superviser et de coordonner les actions des autres.

La répartition des compétences au sein de l'organisation actuelle du système britannique semble satisfaire toutes les parties. Le système français fonctionne différemment, les collectivités territoriales ayant chacune un rôle à jouer en faveur de l'environnement.

La généralisation de la politique française

Depuis 1985, une série de lois-cadres a vu le jour, destinée à orienter l'aménagement dans des écosystèmes spécifiques et fragiles, la montagne et le littoral, et à protéger les paysages.

La loi « littoral »

Votée le 3 janvier 1986, la loi « littoral » permet à l'État de mettre en œuvre des prescriptions en faveur de la protection et de la valorisation des paysages du littoral.

C'est le premier texte qui constitue, avec ses applications dans le code de l'urbanisme, un véritable dispositif législatif abordant spécifiquement la protection des « espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques » (article L 146-6 du Code de l'Urbanisme). Il s'applique aux communes riveraines de la mer et des lacs de plus de 1 000 ha, et prévoit l'élaboration de Schémas de mise en valeur de la mer (SMVM). Ces derniers fixent les orientations fondamentales de l'aménagement et de la protection d'espaces côtiers. Ils ne sont pas encore opérationnels, l'étape de leur mise en place suscitant quelques blocages. Les termes de la loi « littoral » sont flous, mais un décret d'application du 20 septembre 1989, donne un sens plus large aux critères définissant les espaces et milieux à préserver. Ils sont en effet sélectionnés dès lors qu'ils « présentent un intérêt scientifique » et non plus « en fonction de l'intérêt scientifique qu'ils présentent ». Cette différence de langage traduit l'évolution de la politique de protection de la nature en France, qui est passée du cas particulier, ponctuel et strict dans la première moitié de ce siècle au cas général, adaptable, dans la seconde.

Cette loi permet une politique plus souple, adaptable à tous les espaces littoraux qui ne peuvent pas être affranchis de tout facteur anthropique.

La loi « paysages »

La ligne de conduite législative suivie a suscité la proposition d'un plan d'action en faveur de la protection et de la reconquête du paysage.

Ce plan d'action comprenait : « le renforcement de la prise en compte du paysage dans le Plan d'occupation des sols, la mise en place d'un volet paysager au permis de construire, la création de directives de l'État en matière paysagère, l'extension des Zones de protection du patrimoine architectural et urbain aux paysages, la prise en compte du paysage dans les remembrements, l'élaboration des plans de paysages, le renforcement de la protection des sites, une réflexion sur les paysages français et l'UNESCO, la formation des professionnels du paysage ». D'autres actions étaient également proposées, comme la création d'un observatoire permanent du paysage et la mise en place d'une opération de labellisation des « paysages de reconquête ». Suite à ces propositions, le parlement adopta un texte de loi concernant la protection des paysages, dit « loi paysage », le 8 janvier 1993. Il s'agit d'une loi encore plus générale que les deux précédentes, dont l'objet est de promouvoir la valeur paysagère aux yeux des élus, des constructeurs et des aménageurs. En ce sens, la loi s'articule autour de quatre séries de mesures :

Ce texte peut être considéré comme l'aboutissement d'une rapide évolution du concept de préservation générale et adaptée. Il diffère de la notion de protection, qui est limitée dans l'espace pour ne pas nuire aux activités humaines.

Palliant les lacunes législatives concernant certains types d'espaces, ces dernières lois se veulent très larges de façon à permettre une interprétation convenant à tous les différents espaces susceptibles d'y être soumis. Leur application ne peut toutefois être efficace qu'au niveau local, les collectivités locales ayant depuis les lois de décentralisation compétence en matière de développement.

Conclusion

C'est une forte pression du public britannique au sortir de la Deuxième Guerre mondiale qui poussa le gouvernement à légiférer en faveur de la protection de la nature et des paysages, et à garantir à la population l'accès à la campagne à des fins de loisirs. En France, le rôle de protection du patrimoine est considéré comme relevant des attributions des pouvoirs publics. La population ne s'y est pas investie comme en Angleterre, ce qui explique le retard pris en matière de conservation après la Deuxième Guerre mondiale.

L'organisation actuelle de la protection de la nature et des paysages en Angleterre semble acceptée et efficace. L'appareil législatif français a de son côté largement rattrapé son retard.

Les deux systèmes sont aujourd'hui d'ordre comparable, ayant tous deux un panel de dispositions visant à protéger des secteurs de faible superficie comme de vastes espaces.

Haut