Dynamique migratoire (1992-1995)


Guillaume Bernard, Frédérique Turbout

En trois années, de 1992 à 1995, le paysage migratoire entre le Sud de l'Angleterre et le Nord-Ouest de la France s'est fortement modifié. Il existe une forte dichotomie spatiale en relation avec les mouvements de population. On remarque d'une part, des espaces où la dynamique migratoire est forte et d'autre part, des espaces moins concernés par ces mouvements. Les 43 départements et comtés pris en compte connaissent presque tous une progression de leur population. Ils peuvent cependant être divisés entre deux sous-groupes :

Les espaces en marge de la dynamique migratoire

En Angleterre

Variations négatives : espaces de recul de la communauté française

Le nombre de Français est en diminution dans cinq comtés anglais (tableau ci-dessous). Le cas du Dorset est significatif puisque le nombre de Français passe de 712 à 490. Le taux de diminution pour ces cinq comtés est en moyenne de 19,3 % (Dorset, East Sussex, Bedfordshire, Somerset et Cornwall).

Diminution de la présence française entre 1992 et 1995

TOTAL

2 715

2 190

-19,3 %

Comté

1992

1995

Variation 1992-1995

South East

Bedfordshire

412

326

-20,8 %

East Sussex

1 103

1 001

-9,2 %

South West

Dorset

712

490

-31,1 %

Somerset

201

186

-8,0 %

Cornwall

287

187

-34,8 %

 

Taux d'augmentations inférieurs à 25 %

Le second groupe de comtés voit le nombre de Français augmenter modérément, c'est-à-dire entre 0 et 25 % de progression sur trois ans. Il est constitué par les comtés du Devon, de l'Oxfordshire, de l'Essex, Berkshire, Buckinghamshire. Les comtés du Sud sont ceux qui présentent les plus forts taux d'augmentation de Français.

Faible progression de la présence française (de 0 à 25 % ) entre 1992 et 1995

TOTAL

4 094

4 524

10,5 %

Comté

1992

1995

Variation 1992-1995

Devon

426

467

9,6 %

Oxfordshire

707

846

21,4 %

Essex

1 142

1 263

14,6 %

Berkshire

1 081

1 141

5,5 %

Buckinghamshire

738

807

9,3 %

 

En France (hors Île-de-France)

Il n'y a pas de diminution de la présence anglaise dans la zone transmanche. Un groupe de départements voit le nombre de Britanniques progresser dans des proportions faibles, c'est-à-dire entre 0 et 25 %. Dans cette catégorie entrent le Pas-de-Calais, l'Aisne, la Seine-Maritime, l'Eure, l'Orne et la Loire-Atlantique, la Somme et l'Oise. Exception faite de la Seine-Maritime et de la Somme, ces départements ne sont pas directement bordiers de la Manche. Le taux de progression y est en moyenne de 14,9 % entre 1992 et 1995.

Les départements de la Seine-Maritime et de l'Orne ont des taux de progression très faibles (3,5 % et 4,3 %). Le nombre de Britanniques n'a pas connu d'évolution significative.

Départements à faibles taux de progression de la population britannique (1992-1995)

TOTAL

3 628

4 170

14,9 %

Département

1992

1995

Variation 1992-1995

Pas-de-Calais

795

946

18,9 %

Aisne

106

130

22,6 %

Somme

217

280

9,3 %

Oise

653

731

11,9 %

Seine-Maritime

764

791

3,5 %

Eure

262

317

20,9 %

Orne

253

264

4,3 %

Loire-Atlantique

578

711

23 %

Source : Ministère de l'Intérieur, 1998.


La progression est constatée mais elle reste faible comparée aux autres départements. Ces départements souffrent de l'attraction parisienne comme la Seine-Maritime (3,5 %), l'Eure, l'Aisne.

Des espaces au coeur de la dynamique migratoire

En France

La majorité des départements connaît de forts taux d'accroissement de la population britannique. L'augmentation, entre 1992 et 1995 se situe entre 25 et 100 %.

Départements connaissant une forte augmentation de la présence britannique (1992-1995)

TOTAL

4 156

6 061

45,8 %

Département

1992

1995

Variation 1992-1995

Nord

745

985

32,2 %

Calvados

481

702

45,9 %

Manche

357

561

57,1 %

Finistère

367

508

38,4 %

Côtes-d'Armor

676

886

31,0 %

Morbihan

402

705

75,3 %

Ille-et-Vilaine

448

664

48,2 %

Maine-et-Loire

338

571

68,9 %

Sarthe

136

179

31,6 %

Mayenne

206

300

45,6 %

 

Les départements dont le nombre de personnes de nationalité britannique est en nette progression sont les suivants : Finistère, Morbihan, Côtes-d'Armor, Ille-et-Vilaine (Bretagne), Maine-et-Loire, Sarthe, Mayenne, Manche, Calvados et Nord. Comme on peut le constater, l'Ouest Transmanche est particulièrement bien représenté ainsi que le département du Nord, porte de la France sur l'Axe Londres-Paris.

La part des Anglais dans l'Ouest de la France est en forte augmentation. Quantitativement, les départements côtiers concentrent la majorité des Anglais, ainsi les Côtes-d'Armor avec 886 Anglais, 702 dans le Calvados, 985 dans le département du Nord en 1995.

L'attraction parisienne est évidente puisqu'il y a formation d'une couronne autour de l'Île-de-France par le premier groupe de départements à faibles augmentations des effectifs britanniques entre 1992 et 1995.

En Angleterre

Sans prendre en compte Londres, le nombre de Français présents dans le Sud de l'Angleterre est passé de 11 500 à 15 000 en l'espace de trois ans. Pour l'ensemble de la zone anglaise, le taux d'augmentation du nombre de Français expatriés, hors Londres, est de 25,4 % entre 1992 et 1995. Les effectifs des Français présents dans le Sud de la Grande Bretagne ont donc augmenté d'un quart. La progression n'est pas uniforme selon les 17 comtés pris en compte.

Huit comtés sont particulièrement concernés par l'arrivée de ressortissants français. Six appartiennent au South East : le Hampshire, le Surrey, le Kent, le Gloucestershire, l'Hertfordshire et le West Sussex. L'Avon et le Wiltshire se situent administrativement dans la région du South West.

Forte augmentation de la présence française entre 1992 et 1995

TOTAL

5 629

9 652

71,4 %

Comté

1992

1995

Variation 1992-1995

South East

Hampshire

824

1332

61,6 %

Surrey

2 165

2 933

35,4 %

Kent

1 075

2 035

89,3 %

Gloucestershire

132

268

112,0 %

Hertfordshire

651

1 224

100,0 %

East Sussex

204

807

295,0 %

South West

Avon

566

766

35,3 %

Wiltshire

12

287

240,0 %

 

Dans l'Avon (35,3 %), les Français sont surtout présents à Bristol, ville portuaire, et dans une moindre mesure à Woodspring et Bath lorsque l'on prend en compte les résultats par districts. Dans le Surrey (35,4 %), hormis le district d'Elmbridge, la répartition de la population de nationalité française est uniforme. Enfin le Kent (89,3 %), porte de l'Angleterre lorsque l'on se rend dans l'Ile par le Pas-de-Calais, semble avoir profité de l'ouverture du Tunnel sous la Manche en 1994. Le nombre de Français y est passé de 1 000 à plus de 2 000 en trois ans.

Il faut remarquer la localisation géographique de certains de ces comtés. Le Kent est une porte entre les deux pays. La position charnière de ce comté a pris toute sa valeur depuis la mise en service de la liaison souterraine grâce à Eurotunnel. À cela il faut ajouter l'avantage indéniable de la proximité du Kent par rapport au territoire français qui constitue un avantage en termes de temps.

Le Surrey peut être intégré à l'agglomération londonienne puisqu'il englobe une partie du sud-ouest du Grand Londres. C'est une zone qui accueille de nombreuses universités et où la population française à hauts revenus s'est traditionnellement installée. L'importance de la communauté française dans le Surrey est une caractéristique marquante du mouvement des Français vers Londres. L'Avon est un pôle attractif et les villes de Bristol et Bath possèdent de plus en plus de Français qui émigrent dans le but de trouver un emploi.

Dans quatre comtés du Sud anglais, la communauté française a au moins doublé en nombre. Elle est passé de 12 à 287 personnes dans le Wiltshire (240 %), de 132 à 268 dans le Gloucestershire (112 %), de 651 à 1 224 dans le Hertfordshire (100 %). Nous sommes face à un phénomène d'ampleur. Le West Sussex a vu son nombre de Français immatriculés passer de 204 à 771 soit une augmentation de plus de 295 %. Plus de 500 personnes de nationalité française sont venues s'installer dans ce comté maritime en trois ans.

Les métropoles dans la dynamique migratoire transmanche entre 1992 et 1995

Londres en Angleterre et la région Parisienne en France sont des zones où le rassemblement des migrants transmanche est particulièrement important. En 1992, Londres compte plus de 22 000 Français et l'Île-de-France est un lieu de résidence pour plus de 23 000 Britanniques.

Mais la dynamique migratoire n'est pas la même dans les deux capitales, légère augmentation à Londres contre diminution à Paris. Entre 1992 et 1995, le nombre de Français à Londres passe de 22 500 à 23 000. Ce sont là des données consulaires et le nombre de Français en 1995 est beaucoup plus important (140 000 personnes y sont recensées officieusement). L'Île-de-France connaît, elle, une relative désaffectation de la population de nationalité britannique. Il y a plus de 23 000 titulaires de cartes de séjour en 1992 contre 19 800 trois ans plus tard en 1995, ce qui représente une baisse relativement importante.

Évolution de la présence des migrants transmanche à Londres et en Île-de-France (1992-1995)
Métropole 1995 1995 Variation 1992-1995
Londres22 56823 112+ 2,4 %
Île-de-France23 63319 878-15,8 %

 

On constate une augmentation à deux vitesses. Les zones desservies par les têtes de pont maritimes accueillent un nombre grandissant d'Anglais (Nord, Bretagne, Basse-Normandie). Il semble que cette population se rende en France dans le but de travailler. Dans ce cas, ces Anglais prennent le relais de la dynamique migratoire liée aux achats de biens immobiliers. Nous sommes donc face à une dynamique migratoire de nature économique. Son importance est faible à l'heure actuelle compte tenu de son poids dans l'économie française. Cependant, le mouvement des Anglais vers la France est bel est bien réel.

L'étude des départements transmanche (côté français) démontre un intérêt particulier des populations anglaises pour les départements littoraux et la plupart des départements ruraux de l'intérieur, ainsi qu'un délaissement des départements situés dans la sphère d'influence de Paris.

Le mouvement migratoire français est largement en faveur de la région du South East. Cette dernière récolte les fruits de l'influence londonienne, elle cumule également l'avantage d'être reliée directement au continent. Les pôles urbains secondaires semblent commencer à attirer les Français à la recherche de réussite professionnelle. Ils partent pour travailler ou installer leurs entreprises dans les grandes villes anglaises. Des entrepreneurs ont ainsi choisi Birmingham et Manchester pour implanter leur entreprise.

La seconde caractéristique de ce mouvement est son ampleur. L'arrivée en masse des Français en Grande-Bretagne semble dater de 1995, mais dès 1992, une dynamique migratoire France-Angleterre semblait s'être amorcée.

Les migrations de citoyens Français en Angleterre et d'Anglais en France sont une réalité difficilement mesurable, qui va en s'accentuant. Le mouvement se fait largement en faveur de l'installation de Britanniques sur le territoire français, et selon des critères de localisation bien spécifiques, liés avant tout au cadre de vie. Dans l'autre sens, les Français s'installant en Angleterre le font en majorité pour des raisons économiques, et privilégient les pôles urbains. Deux types de motivations se conjuguent dans un même espace, entraînant des flux croissants de migrants de part et d'autre de la Manche.

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